Les Français
d'origine étrangère aux élections municipales de 2001 :
Vers une « normalisation » de leur présence parmi les candidats et les
élus ?
Paul ORIOL*
Vincent GEISSER**
« Combien seront-ils cette fois-ci ? ».
Cette question est devenue presque rituelle dans la presse nationale et chez
les acteurs politiques et associatifs issus des migrations qui, à chaque
élection locale, spéculent sur le sort qui sera réservé aux Français d'origine
étrangère dans les procédures de cooptation et de désignation des candidats.
Et, tout aussi rituellement, les sociologues et les observateurs avertis
établissent un bilan contrasté, rendant compte des évolutions en matière de
présence des candidats et des élus issus des migrations sur les listes et dans
les assemblées politiques locales[1].
Cette tâche est devenue comme une sorte d'impératif
civique pour toute personne qui s'intéresse au fonctionnement de notre
régime républicain et la progression du nombre de Français d'origine étrangère
parmi les candidats et les élus est souvent perçue comme l'un des symptômes
majeurs du mûrissement de notre démocratie française et de sa capacité à
s'ouvrir à de nouvelles couches de la population résidant dans l'Hexagone.
Pourtant, comme nous allons le voir, si la logique des chiffres est sans aucun
doute un bon indicateur de la capacité de notre système politique à intégrer
une certaine dose de pluralisme culturel- comme de pluralisme sexuel d'ailleurs
-, elle est parfois trompeuse car le nombre de candidats et d'élus d'origine étrangère
n'indique en rien la place et la fonction qui leur seront attribués, ni même
les représentations véhiculées à leur propos par les responsables locaux et
nationaux des partis politiques : force est d'admettre que la logique des
chiffres n'est pas forcément synonyme d'une normalisation des relations de
Question de
méthode : le repérage par l'onomastique est-il fiable ?
En 2001, nous
n'avons pas utilisé la méthode adoptée lors des précédentes élections
municipales, à savoir une liste de "communes représentatives" fournie
par l'institut de sondage CSA mais la liste des villes de
À l'instar de la
méthode adoptée lors des précédentes élections (Paul Oriol, 1995 On doit
pouvoir citer la publication sans mettre à chaque fois le nom de l'auteur),
nous avons eu recours à la liste des « communes représentatives » fournie par
l'institut de sondage CSA,
soit exactement
108 villes de France métropolitaine de plus de 50 000 habitants, à laquelle il
convient de rajouter les 3 villes relevant du statut PLM : Paris (20
arrondissements), Lyon (9 secteurs) et Marseille (8 secteurs)[3].
Au total, notre étude a porté sur 146 circonscriptions électorales, dont
certaines avaient moins de 50 000 habitants
(circonscriptions des villes PLM). L'objectif de notre étude étant de recenser les candidats et les
« nouveaux élus » d'origine étrangère, nous avons adressé entre le 31 mars et
le 15 avril 2001 un courrier aux services « Élections » des différentes
municipalités (parfois directement au cabinet du maire), en leur demandant de
nous fournir systématiquement trois types de documents :
* les bulletins de
vote des premier et second tours sur lesquels figurent les noms et prénoms des
candidats, avec mention parfois de leur âge et profession ;
* les profession
de foi des différentes listes (aspects programmatiques) ;
* la composition
du nouveau conseil municipal (maire, adjoints et conseillers).
Cette démarche à
caractère « systématique » nous a permis de recueillir au final des
informations sur 88 communes des France de plus de 50 000 habitants, soit un
taux de réponses de 80 % par rapport à la « liste primitive » du CSA. Certes,
ces réponses étaient loin d'être homogènes : la très grande majorité des
municipalités nous ont fait parvenir la totalité des documents demandés
(bulletins de vote, professions de foi, composition du conseil municipal), mais
quelques-unes ont omis de nous envoyer certains papiers qui n'avaient pas été
conservés par leurs services[4].
Le cas échéant, nous nous sommes directement adressés au « Bureau des Élections
» des préfectures de tutelle pour compléter les absences d'informations et
combler les trous. Au final, nous avons pu travailler sur environ 500 listes au
premier tour, soit 25 871 candidats toutes origines nationales et tendances
politiques confondues. Au second tour, nous avons accompli un travail identique
sur les listes qui restaient en compétition, en prolongeant notre analyse par
un examen de la composition des nouveaux conseils municipaux.
La tâche la plus
difficile a été sans aucun doute le repérage des candidats et des élus
d'origine étrangère sur les listes qui ne constituent pas une catégorie
homogène : celle-ci n'a de sens que par rapport à notre objectif
d'enquête. En effet, une telle étude ne
vise pas à légitimer a priori
l'existence d'une catégorie que l'on dénommerait « candidats et élus locaux
d'origine étrangère », non pas que nous voulions céder au « républicainement
correct », mais tout simplement parce qu'une telle catégorie ne fait aucun sens
du point de vue du sentiment d'identité politique et de l'action publique.
Notre démarche renvoyait en quelque sorte à une visée informative : donner aux lecteurs et aux acteurs intéressés
par ce débat la vision la plus objective possible de la présence des candidats
et des élus d'origine étrangère lors des dernières municipales de mars 2001.
Pour ce faire, nous avons opté pour un mode de repérage onomastique, ce qui
supposait une relative bonne connaissance des différentes vagues migratoires
présentes sur le territoire français. Notre expérience de chercheur et d'acteur
en ce domaine nous a sans doute aidé. De plus, la combinaison des noms et des
prénoms a permis d'éviter les « erreurs d'origine », même s'il n'était pas
toujours évident pour nous de distinguer un maghrébin d'un machréckin, un
Espagnol d'un Portugais, un enfant de couple mixte franco-maghrébin d'un juif
séfarade. Toutefois, nous avons choisi délibérément d'exclure de notre repérage
toutes les combinaisons ambiguës (prénom français + nom arabe, ou prénom arabe
+ nom français...), lorsque que nous ne disposions pas d'informations
suffisantes sur tel ou tel candidat. Dans certains cas, nous avons pu néanmoins
trancher l'ambiguïté en obtenant des renseignements précis sur l'individu en
question.
Pour les immigrés
d'origine espagnole, italienne ou portugaise, il est plus facile de prénommer
leur enfant Louis au lieu de Luis ou Luigi que pour les parents d'origine
maghrébine. Un biais identique peut faire sous-estimer le nombre des Noirs
africains ou même d'asiatiques à cause de leur origine religieuse chrétienne.
La méthode entraîne aussi très probablement une sous estimation du nombre de
femmes qui peuvent apparaître sous le nom d'épouse et non de jeune fille
Nous avons décidé
de livrer ici les données « brutes » de notre recensement dans l'attente d'un
article plus conséquent sur la question.
Les candidats et les élus d'origine étrangère au
première tour des Municipales 2001
Sur l'ensemble des
25 871 individus figurant sur les 500 listes du premier tour, nous avons
recensé 1957 candidats d'origine étrangère (4,3 %), dont 1200[5] d'origine maghrébine (2,4 %). Tous les partis
et mouvements politiques sans exception ont présenté des candidats d'origine
étrangère, y compris l'extrême droite : 66 pour le Front national (9 d'origine
maghrébine) et 36 pour le Mouvement national républicain (1 d'origine
maghrébine). Cette première observation peut paraître banale mais elle tend à
prouver, qu'en France l'origine étrangère ne constitue pas un obstacle pour
figurer sur les listes de candidatures aux élections locales, même sur celles
qui défendent des valeurs anti-immigrés et xénophobes.
Toutefois, cette
distribution des candidats
"d'origine étrangère" est loin d'être homogène. Certains courants
politiques se montrent plus « ouverts » que d'autres et le constat établi (par
Paul Oriol cf remarque précédente) pour les élections municipales de
1995 s'applique, en partie, à celles de 2001 :
« On retrouve des candidats dans
toutes les familles politiques, mais leur nombre est d'autant plus important
que ces listes sont plus à gauche. Cette gradation de droite à gauche est moins
pertinente quand il s'agit des candidats "d'origine maghrébine" du
fait de leur importante présence sur des listes "divers" »[6].
Encore une fois,
ce sont les listes « divers » et « divers gauche » qui ont accueilli,
proportionnellement[7],
en mars 2001, le plus grand nombre de candidats d'origine étrangère (
respectivement 18 % et 13,5 %) et d'origine maghrébine (14 % et 9,8 %).
Les Verts, lorsqu'ils se présentaient seuls au premier tour, comportaient, eux
aussi, une assez forte proportion de candidats d'origine étrangère (10,9 %) et
d'origine maghrébine (7,3 %), suivis de près dans cette logique d'ouverture par
les mouvements traditionnels de l'extrême gauche française : Parti des
travailleurs, Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière (9,9 % de COE
et 5,8 % de COM)[8].
Tableau 1. Les
candidats "d'origine étrangère" au premier tour selon la couleur
politique de la liste (Municipales 2001)
Listes |
Nbre de listes
en présence |
Nbre de
candidats en présence |
Candidats
d'origine étrangère (ensemble) |
Candidats
originaires du Maghreb |
Candidats
originaires d'Afrique noire |
Parti des
travailleurs |
30 |
1565 |
147 |
91 (51 femmes) |
4 |
Ligue communiste
révolutionnaire |
26 |
1401 |
143 |
84 (40 femmes) |
6 |
Lutte ouvrière |
42 |
2215 |
226 |
128 (63 femmes) |
3 |
Divers gauche |
45 |
2292 |
311 |
225 (100 femmes) |
9 |
Verts |
21 |
1090 |
110 |
80 (38 femmes) |
5 |
Gauche Plurielle |
77 |
3902 |
310 |
197 (92 femmes) |
10 |
Divers droite |
69 |
3590 |
184 |
96 (49 femmes) |
6 |
Union droite |
76 |
3848 |
165 |
87 (45 femmes) |
2 |
MNR |
41 |
2153 |
36 |
1 (pas de femme) |
0 |
FN |
45 |
2379 |
66 |
9 (3 femmes) |
0 |
Divers |
28 |
1436 |
259 |
202 (95 femmes) |
5 |
Total |
500 |
25 871 |
1957 |
1200 (576 femmes) |
50 |
© Enquête Oriol-Geisser
2001.
Du point de vue de
l'accueil des Français "d'origine étrangère" sur
les listes,
D'une manière
générale, les listes d'union de la droite (DL, UDF, RPR) font preuve de
davantage de frilosité en ce domaine avec 4,3 % de COE et à peine 2,2 % de COM.
Nous relevons des proportions comparables pour les listes divers droite avec 5 % de COE et 2,6 % de COM. Si la droite
française est de plus en plus soucieuse de recruter dans son personnel
politique des Français issus de l'immigration, le message national a encore du
mal à passer auprès des états-majors politiques locaux qui semblent encore
réticents à l'accueil des Français d'origine étrangère et en particulier de
ceux issus de l'immigration maghrébine qui continuent à incarner les « classes
dangereuses » dans l'esprit de nombreux notables et militants de base. Il
semblerait qu'il existe une certaine déconnexion idéologique entre les
aspirations d'ouverture des directions centrales des partis et celles de leurs
représentants locaux.
Comme on pouvait
s'y attendre, même s'il n'existe jamais d'évidence en sociologie électorale,
c'est l'extrême droite (FN et MNR) qui est de loin la plus fermée aux
candidatures "d'origine étrangère" (2,25 %) et en particulier à
celles des Français d'origine arabo-berbère (à peine 0,22 %) qui font toujours
figure de repoussoir électoral. Néanmoins, l'extrême droite sait parfois
intégrer une certaine dose de « pluralisme culturel», qu'elle instrumentalise à
des fins politico-électorales : en mars 1998, le FN avait créé la surprise en
faisant élire deux candidats d'origine maghrébine. au Conseil Régional
d'Île-de-France[9] (Je ne pense pas avoir dit en Ile de France)..
Tableau
2. Les élus d'origine étrangère au premier tour selon la couleur politique
de la liste
(Mmunicipales 2001)
Listes |
Nbre de listes |
Nbre de
candidats en présence |
Nbre d'élus au
terme du 1er tour |
Élus d'origine
étrangère (ensemble) |
Élus originaires
du Maghreb |
Élus originaires
d'Afrique noire |
Parti des
travailleurs |
1 |
43 |
1 |
0 |
0 |
0 |
Ligue comm
révolutionnaire |
2 |
98 |
2 |
0 |
0 |
0 |
Lutte ouvrière |
7 |
359 |
9 |
1 |
0 |
0 |
Divers gauche |
8 |
376 |
67 |
3 |
3 (1 femme) |
0 |
Verts |
3 |
161 |
7 |
1 |
0 |
1 |
Gauche Plurielle |
23 |
1109 |
487 |
42 |
25 (8 femmes) |
0 |
Divers droite |
9 |
447 |
134 |
1 |
1 (1 femme) |
0 |
Union droite |
23 |
1103 |
564 |
16 |
7 (5 femmes) |
5 |
MNR |
4 |
202 |
18 |
2 |
0 |
0 |
FN |
7 |
349 |
14 |
0 |
0 |
0 |
Divers |
5 |
231 |
10 |
1 |
1 |
0 |
Total |
92 |
4 478 |
1313 |
67 |
1200 (576 femmes) |
1 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
Au terme du
premier tour, sur les 1313 candidats élus directement (pas de second tour),
nous avons recensé 67 Français d'origine étrangère (5,1 %), dont 37 originaires
du Maghreb (2,8 %). Mais à ce niveau, la distribution par tendance ou couleur
politique ne signifie plus grande chose : le rapport de force électoral reprend
ses droits et ce sont finalement les grandes listes qui les sont les plus à
même d'envoyer des élus au conseil municipal, les petites listes de la société
civile et de l'extrême gauche devant se contenter des « miettes électorales ».
Sur ce plan, les Français "d'origine étrangère"
n'échappent pas à cette logique du rouleau compresseur électoral : les rares élus issus de l'immigration le
sont d'abord sur les listes animées par les grandes formations politiques au
détriment des mouvements plus modestes : 42 élus d'origine étrangère (EOE),
dont 25 originaires du Maghreb (EOM), pour
Lors
de ce premier tour des municipales 2001, une attention spéciale se devait
d'être accordée aux citoyens européens (ressortissants de l'Union européenne)
qui avaient la possibilité légale d'être candidats dans les communes
françaises. Mais, au-delà des anecdotes médiatiques sur les candidatures d'un
citoyen hollandais dans le fin fond de
Tableau 3. Les
candidats ressortissants de l'Union européenne au premier tour selon la couleur
politique
de la liste
(Municipales 2001)
Listes |
Candidats toutes
origines confondues |
Britanniques |
Allemands |
Espagnols |
Italiens |
Portugais |
Belges |
Hollandais |
Luxemb. |
Total des
candidats de l'UE |
Parti des
travailleurs |
1626 |
0 |
0 |
0 |
0 |
4 |
0 |
0 |
0 |
4 |
LCR |
1401 |
1 |
2 |
2 |
1 |
1 |
0 |
0 |
0 |
7 |
Lutte ouvrière |
2215 |
1 |
1 |
7 |
0 |
3 |
1 |
0 |
0 |
13 |
Divers gauche |
2292 |
4 |
1 |
3 |
2 |
6 |
0 |
0 |
0 |
17 |
Verts |
1090 |
0 |
1 |
1 |
2 |
2 |
2 |
2 |
0 |
10 |
Gauche unie |
891 |
0 |
0 |
3 |
1 |
4 |
0 |
0 |
0 |
8 |
Gauche plurielle |
3011 |
0 |
0 |
3 |
3 |
7 |
1 |
0 |
0 |
14 |
Union de la
droite |
3848 |
0 |
1 |
0 |
1 |
8 |
1 |
0 |
0 |
11 |
Divers droite |
3590 |
0 |
0 |
1 |
2 |
7 |
1 |
0 |
0 |
11 |
Divers |
1845 |
0 |
1 |
0 |
1 |
2 |
1 |
0 |
0 |
5 |
Total |
26 217 |
7 |
10 |
21 |
18 |
51 |
10 |
3 |
0 |
120 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
Tableau 4. Les
ressortissants de l'Union européenne élus au premier tour selon la couleur
politique
de la liste
(Municipales 2001)
Listes |
Élus toutes
origines confondues |
Britanniques |
Allemands |
Espagnols |
Italiens |
Portugais |
Belges |
Hollandais |
Luxemb. |
Total des élus
de l'UE |
Parti des
travailleurs |
1 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
LCR |
2 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Lutte ouvrière |
9 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Divers gauche |
67 |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
2 |
Verts |
7 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Gauche unie |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Gauche plurielle |
487 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Union de la
droite |
564 |
0 |
0 |
0 |
1 |
1 |
1 |
0 |
0 |
3 |
Divers droite |
134 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Divers |
6 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Total |
1 299 |
1 |
0 |
0 |
1 |
2 |
1 |
0 |
0 |
5 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
Quels
enseignements pouvons nous tirer de ce premier tour des Municipales 2001 en termes
de représentativité(représentation
me paraît plus juste) des Français "d'origine étrangère" sur les listes de candidats ?
L'hypothèse de
l'intégration politique par les petites formations développée par
Paul Oriol(supprimer) pour les précédentes échéances électorales se
vérifie une nouvelle fois : « ces
candidatures "d'origine étrangère" semblent témoigner d'une
intégration politique par les "petites organisations" plus que par
les "grosses" »[12].
Néanmoins, avec le recul, il semble que c'est moins la notion d'intégration politique qui est en jeu ici
que les modes différentiels de constitution des listes de candidats. En effet,
les processus de sélection et de cooptation ne sont pas identiques d'une liste
à l'autre, d'un parti à l'autre. Concernant les petites listes (sociétés
civiles(à mon avis au singulier) et extrême-gauche), la logique du
militantisme de proximité et les réseaux de sociabilité immédiats priment sur
les négociations de type clientéliste et les « marchandages électoraux » (tu me donnes, je te donne). De plus,
pour les petites listes, les candidatures "d'origine étrangère"
apparaissent sans réelle volonté d'une représentativité communautaire, ce qui
est loin d'être le cas des grandes listes du PS, du RPR et de l'UDF qui
cherchent à promouvoir des candidatures emblématiques pour ne pas dire «
ethniques ». De ce fait, on parvient à un résultat assez paradoxal : là où l'on
ne pense pas forcément en termes ethniques et communautaires, les candidats
d'origine étrangère sont nombreux, reflétant la pluralité culturelle et sociale
des localités, alors que là où l'on tend à réduire ces individus à des logiques
de représentativité ethnique, les candidats sont moins nombreux, car finalement
ils se contentent de remplir les « quotas communautaires » (1 Arabe, 1
Africain, 1 Portugais...) qui leur sont réservés à l'avance. En revanche, pour
les mandats électifs, la logique est tout à fait différente: ce sont les partis
et les organisations qui ont les moyens de s'imposer électoralement (rapport de
force) qui sont les plus susceptibles d'envoyer des Français "d'origine
étrangère" au sein des
assemblées politiques locales, ce qui explique qu'au final,
Une confirmation des tendances au second tour
Pour le second
tour, nous avons choisi de limiter notre analyse aux élus, c'est-à-dire aux
individus qui, au terme du scrutin, ont décroché un mandat électif de
conseiller municipal et/ou de conseiller d'arrondissement (PLM). Sur les 3062 élus
recensés dans notre échantillon (Oriol-Geisser, 2001supprimer), nous
avons relevé 173 élus d'origine étrangère (5,6 %), dont 107 originaires du
Maghreb (3,5 %)[13].
La distribution par couleur politique confirme, en grande partie, les tendances
observées lors du premier tour de scrutin : ce sont généralement(supprimer)
les listes de gauche qui ont envoyé le plus grand nombre de Français "d'origine
étrangère" dans les
assemblées politiques locales : 110 pour
Le cas des
Français originaires du Maghreb (FOM) mérite d'être souligné : ils constituent
toujours le « gros des bataillons » des nouveaux élus d'origine étrangère,
soit 61 % des EOE du second tour, très loin devant les enfants de l'immigration
européenne et surtout de l'immigration d'Afrique noire qui est quasiment
absente des conseils municipaux (8 élus recensés pour toute
Tableau 5. Les
élus d'origine étrangère au deuxième tour
selon la couleur politique de la liste
(Municipales 2001)
Listes |
Nbre de listes |
Nbre élus toutes
origines |
Élus d'origine
étrangère (ensemble) |
Élus originaires
du Maghreb |
Élus originaires
d'Afrique noire |
Divers gauche |
11 |
136 |
15 |
7 (5 femmes) |
3 |
Verts |
6 |
27 |
1 |
0 |
0 |
Gauche Plurielle |
54 |
1326 |
110 |
78 (41 femmes) |
5 |
Divers droite |
23 |
391 |
11 |
5 (1 femme) |
0 |
Union droite |
48 |
1141 |
34 |
17 (6 femmes) |
0 |
MNR |
2 |
7 |
0 |
0 |
0 |
FN |
9 |
29 |
2 |
0 |
0 |
Divers |
2 |
5 |
0 |
0 |
0 |
Total |
155 |
3 062 |
173 |
107 (53 femmes) |
8 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
Quant aux
étrangers ressortissants de l'Union européenne, ils sont presque absents des
conseils municipaux de notre échantillon d'enquête, puisque l'on ne recense (en) pour
tout et pour tout que 11 élus (3 Espagnols et 8 Portugais), dont on
peut supposer qu'ils appartiennent, soit au milieu des anciens exilés
politiques, soit à l'immigration économique. Ce nombre extrêmement faible de
citoyens européens participant aux instances du pouvoir local en France
souligne l'effort de pédagogie qui reste à faire dans les populations
concernées (encore faiblement inscrites sur les listes électorales) mais
surtout auprès des états-majors politiques français qui n'ont pas mené de
campagne active sur le sujet, comme si l'Europe n'était pour eux qu'une thématique gadget.
Tableau 6.
Les ressortissants de l'Union européenne
élus au second tour
selon la couleur politique de la liste
(municipales 2001)
Listes |
Élus toutes
origines confondues |
Britanniques |
Allemands |
Espagnols |
Italiens |
Portugais |
Belges |
Hollandais |
Luxembourgeois |
Total élus de
l'UE |
Divers gauche |
136 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 |
Gauche unie |
166 |
0 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
Gauche plurielle |
1119 |
0 |
0 |
2 |
0 |
4 |
0 |
0 |
0 |
6 |
Union de la
droite |
1141 |
0 |
0 |
0 |
0 |
2 |
0 |
0 |
0 |
2 |
Divers droite |
134 |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 |
Total |
1 299 |
0 |
0 |
3 |
0 |
8 |
0 |
0 |
0 |
11 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
*
**
Quel bilan tirer
de ces élections municipales de mars 2001 quant à la représentation politique
des Français d'origine étrangère ?
D'aucuns
contesteront les termes mêmes de la question, puisque qu'à leurs yeux, il n'y a
que des élus citoyens français, voire aujourd'hui des élus ressortissants de l'Union
européenne, mais pas d'élus identifiés selon leurs origines nationales,
culturelles ou religieuses. En tant qu'observateur de la vie politique
française et des phénomènes migratoires, nous sommes toujours restés prudents à
l'égard de ce type de démarche visant à faire ressortir des particularismes en
tout genre, donnant parfois l'impression que l'on met « à part » un groupe de
candidats, d'élus, de responsables partisans ou de militants politiques.
Cependant, cette démarche « particulariste » du chercheur et de l'observateur
s'inscrit bien dans une visée universaliste de la connaissance : réfléchir sur la congruence entre le pluralisme politique
et le pluralisme culturel, vérifier en somme la capacité de notre système
politique à répondre aux transformations de notre société. Sur ce plan, on peut
parler d'un processus de banalisation
de la présence des Français d'origine étrangère en politique, même si celui-ci
n'est pas exempt d'ambiguïté du point de vue de la « norme républicaine ». Tous
les partis et les mouvements politiques (y compris l'extrême droite)
accueillent actuellement des candidats d'origine étrangère et d'origine
maghrébine. Toutefois, cette forme d'insertion par le bais des élections
renvoie à des significations multiples et parfois contradictoires qui
nécessiteraient une analyse plus approfondie.
En guise de
conclusion, nous serions tentés de dire que la
leçon de républicanisme lors de ces dernières élections municipales, ne fut
pas donnée, comme on pouvait s'y attendre, par les grandes formations
politiques de notre pays (PS, RPR, UDF, DL...), qui auraient pourtant les
ressources et les moyens de « faire élire » davantage de Français "d'origine
étrangère" dans les
instances du pouvoir local et national, mais davantage par les petites formations
de gauche et de la « société civile », dont la composition des listes
reflète de plus en plus la diversité culturelle et migratoire de la population
française.
Documents
Tableau 7. Les élus d'origine étrangère au
premier tour selon le pourcentage d'étrangers dans la commune
(Municipales 2001)
% immigrés dans
la commune |
Nbre de villes |
Nbre de
candidats en présence |
Nbre d'élus en
présence |
Nbre d'élus
issus des migrations |
% élus issus des
migrations |
Moins de 1% |
1 |
129 |
43 |
0 |
0 |
Entre 1 et 2% |
2 |
374 |
92 |
2 |
2,17 |
Entre 2 et 3 % |
1 |
90 |
45 |
0 |
0 |
Entre 3 et 4 % |
2 |
330 |
110 |
6 |
5,45 |
Entre 4 et 5% |
2 |
307 |
88 |
3 |
3,41 |
Entre 5 et 6 % |
3 |
569 |
153 |
9 |
5,88 |
Entre 6 et 7 % |
1 |
244 |
61 |
1 |
1,64 |
Entre 7 et 8 % |
3 |
384 |
143 |
5 |
3,5 |
Entre 8 et 9 % |
3 |
654 |
139 |
5 |
3,6 |
Entre 9 et 10 % |
2 |
180 |
90 |
2 |
2,22 |
Entre 10 et 11 % |
1 |
196 |
49 |
1 |
2,04 |
Entre 11 et 12 % |
2 |
294 |
98 |
4 |
4,08 |
Entre 14 et 15 % |
1 |
135 |
45 |
1 |
2,22 |
Entre 18 et 19 % |
1 |
147 |
49 |
8 |
16,33 |
Entre 19 et 20 % |
1 |
180 |
45 |
9 |
20 |
Entre 26 et 27 % |
1 |
265 |
53 |
9 |
16,98 |
Total |
27 |
4 478 |
1303 |
65 |
4,99 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
Tableau 8. Les élus d'origine étrangère au
deuxième tour selon le pourcentage d'étrangers dans la commune (Municipales
2001)
% immigrés dans
la commune |
Nbre de villes |
Nbre de
candidats en présence |
Nbre d'élus en
présence |
Nbre d'élus
issus des migrations |
% élus issus des
migrations |
Entre 1 et 2% |
3 |
286 |
143 |
2 |
1,41 |
Entre 2 et 3 % |
4 |
465 |
210 |
3 |
1,43 |
Entre 3 et 4 % |
2 |
265 |
108 |
5 |
4,63 |
Entre 4 et 5% |
7 |
808 |
361 |
14 |
3,88 |
Entre 5 et 6 % |
6 |
850 |
326 |
9 |
2,76 |
Entre 6 et 7 % |
4 |
456 |
182 |
6 |
3,3 |
Entre 7 et 8 % |
5 |
787 |
269 |
8 |
2,97 |
Entre 8 et 9 % |
4 |
740 |
214 |
12 |
5,61 |
Entre 9 et 10 % |
6 |
877 |
348 |
16 |
4,6 |
Entre 10 et 11 % |
3 |
432 |
161 |
13 |
8,07 |
Entre 11 et 12 % |
2 |
208 |
104 |
4 |
3,85 |
Entre 12 et 13 % |
1 |
195 |
65 |
4 |
6,15 |
Entre 13 et 14 % |
2 |
264 |
88 |
14 |
15,91 |
Entre 14 et 15 % |
2 |
392 |
98 |
18 |
18,37 |
Entre 15 et 16 % |
1 |
55 |
41 |
3 |
7,32 |
Entre 16 et 17 % |
2 |
318 |
106 |
7 |
6,6 |
Entre 17 et 18 % |
1 |
135 |
45 |
5 |
11,11 |
Entre 18 et 19 % |
1 |
106 |
46 |
3 |
6,52 |
Entre 19 et 20 % |
1 |
106 |
53 |
7 |
13,21 |
Entre 21 et 22 % |
1 |
90 |
45 |
9 |
20 |
Entre 29 et 30 % |
1 |
196 |
49 |
11 |
22,45 |
Total |
59 |
8 031 |
3062 |
173 |
5,65 |
Tableau 9. Les candidats d'origine étrangère
au premier tour à Paris selon la couleur politique de la liste
(Municipales 2001)
Listes |
Nbre de listes
en présence |
Nbre de
candidats en présence |
Candidats
d'origine étrangère (ensemble) |
Candidats originaires
du Maghreb |
Candidats
originaires d'Afrique noire |
Parti des
travailleurs |
7 |
213 |
11 (5,16%) |
2 (1 femme) |
0 |
100 % à gauche |
6 |
207 |
14 (6,76%) |
11 (4 femmes) |
0 |
Lutte ouvrière |
15 |
424 |
29 (6,84%) |
11 (3 femmes) |
0 |
Verts |
20 |
517 |
32 (6,19%) |
11 (4 femmes) |
0 |
Gauche Plurielle |
20 |
517 |
32 (6,19%) |
13 (8 femmes) |
2 |
Divers droite
(dont Tibéri) |
29 |
772 |
40 (5,18%) |
14 (3 femmes) |
1 |
Union droite
(Seguin) |
20 |
517 |
35 (6,77%) |
16 (6 femmes) |
3 |
MNR |
20 |
517 |
7 (1,35%) |
0 |
0 |
FN |
20 |
517 |
13 (2,51%) |
4 (1 femme) |
0 |
Divers |
15 |
466 |
39 (8,37%) |
19 (10 femmes) |
3 |
Total |
172 |
4 667 |
252 (5,40%) |
96 (41 femmes) |
9 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
Tableau 10. Les élus d'origine étrangère dans le nouveau
Conseil de Paris
Composition
Conseil de Paris |
Élus |
Élus d'origine
étrangère (ensemble) |
Élus originaires
du Maghreb |
Élus originaires
d'Afrique noire |
Gauche Plurielle |
92 |
6 |
2 |
0 |
Droite Tibéri |
16 |
0 |
0 |
0 |
Union droite
(Seguin) |
55 |
0 |
0 |
0 |
Total Conseil de Paris |
163 |
6 |
2 |
0 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
Tableau 11. Les
élus d'origine étrangère dans les nouveaux conseils d'arrondissements de Paris
Conseillers d'arrondissements |
Conseillers arrdt |
CA d'origine étrangère (ensemble) |
CA originaires du Maghreb |
CA originaires d'Afrique noire |
Gauche Plurielle |
196 |
13 |
4 (4 femmes) |
2 |
Droite Tibéri |
47 |
1 |
0 |
0 |
Union droite (Seguin) |
111 |
4 |
2 (1 femme) |
0 |
Total
Conseillers d'arrondissements |
354 |
18 |
6 (5 femmes) |
2 |
© Enquête
Oriol-Geisser 2001.
* Membre du conseil éditorial de Migrations Société.
** Chargé de recherche à l'Iremam-Cnrs.
[1] cf. Paul Oriol, « Les immigrés et les élections
municipales de 1995 », Migrations Société,
n° 56, mars-avril 1998, pp. 5-17 ; Paul Oriol, « La question de l'immigration
lors des élections législatives de 1997 », Migrations
Société, n° 63, mai-juin 1999, pp. 15-24 ; Paul Oriol, « La question de l'immigration
lors des régionales de 1998 », Migrations
Société, n° 68, mars-avril 2000, pp. 23-28 ; Paul Oriol, « Les immigrés
candidats aux élections européennes de 1989, 1994 et 1999 », Migrations Société, n° 68, mars-avril
2000, pp. 29-34 ; Paul Oriol, « Les Français d'origine étrangère parmi les
candidats aux élections », Migrations
Société, n° 75-76, mai-août 2001, pp. 51-62. Cf. aussi l'ouvrage de Vincent
Geisser portant sur le mandat 1989-1995
des élus français d'origine maghrébine dans
Ethnicité républicaine : les élites d'origine maghrébine dans le système
politique français, Paris, Presses de sciences po, 1997, 261 p.
[2] Vincent Geisser, « des élus d'origine
maghrébine dans les conseils municipaux : une avancée ambiguë pour la
démocratie locale », dans Bernard Delemotte et Jacques Chevallier, Étranger et citoyen, les immigrés et la
démocratie locale, Amiens-Paris, Licorne-l'Harmattan, 1996, pp. 35-44.
[3] Liste
des 108 villes : Aix en Provence, Ajaccio, Amiens, Angers, Annecy, Antibes,
Antony, argenteuil, arles, asnieres/seine,
aubervillers, aulnay sous bois, avignon, beauvais, belfort, besancon,
Béziers, blois, bordeaux,
boulogne billancourt, bourges,
brest, brive, caen, calais, cannes, cergy, chalons en champagne, chalons/saone, Chambéry, champigny/marne, charleville/mézieres,
chateauroux, cholet, clermont-ferrand,
clichy, colmar, colombes,
courbevoie, créteil, dijon, drancy, dunkerque, evreux, evry, fontenay/bois, grenoble,
hyères, issy les moulineaux,
ivry/seine,
[4] Nous avons eu 506 listes sur les 511 en
présence. Parmi elles, 64 ne comportent pas de renseignements sur la
profession. 23 villes n'ont pas fourni de liste : Aix en Provence, Ajaccio,
Asnières/Seine, Beauvais, Belfort, Besancon, Caen, Champigny/Marne,
Fontenay/Bois,
[5] Les 1200 candidats d'origine maghrébine se
répartissent ainsi : 624 hommes et 576 femmes.
[6] Paul Oriol, « Les Français d'origine étrangère
parmi les candidats aux élections », Migrations Société, n° 75-76, mai-août 2001, p. 57.
[7] Par rapport à l'ensemble de leurs candidats
toutes origines nationales confondues.
[8] COE = candidats d'origine étrangère ; COM =
candidats d'origine maghrébine.
[9] Paul Oriol, « Les Français d'origine étrangère
parmi les candidats aux élections », Migrations Société, n° 75-76, mai-août 2001, p. 54.
[10] Dont 4 d'entre eux figurent sur la liste du
MNR de Bruno Mégret.
[11] À peine 7 conseillers municipaux
ressortissants de l'Union européenne recensés dans notre échantilon de 86
villes.
[12] Paul Oriol, « Les Français d'origine étrangère
parmi les candidats aux élections », Migrations Société, n° 75-76, mai-août 2001, p. 53.
[13] Sur les 107 élus originaires du Maghreb, on
dénombrait 54 hommes et 53 femmes. Rappelons que ces chifffes n'incluent que
les communes de plus de 50 000 habitants fournies par l'institut CSA.
[14] Vincent Geisser, Etnncité républicaine : les élites d'origine maghrébine dans le système
politique français, op. cit.
[15] Paul Oriol, « Les immigrés et les élections
municipales de 1995 », Migrations Société,
n° 56, mars-avril 1998, pp. 5-17.