Notes de lecture
LES ENJEUX DES MIGRATIONS SCIENTIFIQUES
INTERNATIONALES. DE
DE
Dans ce livre, bien
documenté, les auteurs essaient d'apporter un éclairage nouveau à ce qu'ils
qualifient de "serpent des mers depuis bientôt quarante ans", la
fuite des cerveaux.
Le fait est établi. Nombre de personnes, compétentes ou en voie de formation,
partent pour des raisons multiples des pays moins développés vers les plus
développés et essentiellement vers les Etats-Unis. Plus difficile à établir est
la "question de savoir qui, du pays d'accueil ou du pays d'origine perd ou
gagne dans ce flux". Mais si la réponse, d'après les auteurs, est
incertaine, il n'en demeure pas moins que les pays développés, les Etats-Unis
de manière à peu près constante, et les autres pays développés de façon
peut-être plus discrète attirent étudiants, techniciens, enseignants, médecins,
scientifiques de tous ordres ("Nous prenons ce que le monde peut nous
offrir de meilleur"). Il serait étonnant qu'ils fassent cela par pure
philanthropie. L'annonce récente d'un manque de main d'œuvre qualifiée aux Pays-Bas,
de la nécessité d'introduire 30 000 informaticiens originaires de pays
n'appartenant pas à l'Union européenne, en Allemagne en sont les derniers
signes.
"Les cerveaux vont là où les cerveaux sont, les cerveaux vont là ou l'argent est, les cerveaux vont là où l'humanité et la justice prévalent, les cerveaux vont là où la reconnaissance et la saine compétition sont assurés". Autrement dit, les cerveaux suivent les lois du marché (appelé "internationalisme" par les auteurs) et toutes les politiques qui ont eu pour but d'empêcher ou de freiner cet exode ("nationaliste" pour les auteurs) ont échoué. Tandis que fleurit un marché des études dans les pays développés avec des bureaux spécialisés dans le recrutement d'étudiants étrangers pouvant payer leurs études. Pour les Etats-Unis, l'avantage est certain : 80% des chercheurs sont d'origine étrangère et le risque est potentiel : le départ de ces chercheurs ou le désintérêt des nationaux pour la recherche. Mais la source est loin d'être tarie à l'extérieur. Pour le "Sud", ce sont les espoirs qui sont potentiels. Certes tout n'est pas négatif et la diaspora scientifique peut être intéressante comme toute émigration pour ses envois de devises, comme groupe de pression et bien sûr par les "retombées scientifiques". Un avantage dont ne parlent pas les auteurs, c'est la décompression par le départ de jeunes, formés, contestataires…
Bien sûr, de tous temps, les scientifiques ont allés chercher le savoir où il était et c'est la circulation des connaissances et des compétences qui a assuré le progrès scientifique. Ce flux est particulièrement positif et probablement pour tout le monde entre sociétés de même niveau, échanges intra-européens, avec une forte cohésion culturelle comme le Japon qui préfère envoyer à l'étranger des nationaux qui reviennent que voir s'installer des allochtones ! Mais le flux actuel est tellement à sens unique qu'il oblige à se poser la question d'une véritable circulation du savoir. Et même de quel savoir. Car le savoir acquis à l'étranger n'est pas nécessairement adapté au pays d'origine.
La partie la plus novatrice
du livre est la description des réseaux d'expatriés, de ces diasporas qui
d'expertise peuvent être utilisés par le pays d'origine comme réserve de
ressources humaines, consultants, relations de haut niveau avec des
scientifiques restés au pays ou même revenus au pays... Mais ces réseaux sont
difficiles à établir et surtout à entretenir étant donnée la mobilité des
nationaux expatriés. Leur pérennité, leur utilisation dépendent énormément de la
volonté politique du pays d'origine et un changement de ministre ou de
fonctionnaire pour anéantir des années de travail. De plus, ces réseaux ne
peuvent fonctionner que si le pays de départ est suffisamment développé pour
qu'il y ait échange, dialogue possible, retour éventuel même temporaire. Des
succès existent en Corée, à Taïwan… Une telle entreprise est beaucoup plus
aléatoire en Afrique. En effet, il semble que c'est le développement qui rend
possible le retour ou l'utilisation des compétences plus que l'inverse. Au
point que l'on peut voir une sorte de fuite des cerveaux internes, en fonction
des besoins de l'économie. Si 25 à 30% des ingénieurs formés en Inde
s'expatrient un certain nombre se reconvertit, dans le pays, en fonction des
besoins économiques actuels dans le commerce, l'informatique ou la gestion.
Mais ces réseaux, cette diaspora peuvent avoir des effets pervers, ne
risquent-ils pas de favoriser le départ des plus compétents plus facilement
détectés, mieux orientés par leurs relations, sachant qu'ils seront bien
accueillis par des compatriotes ?. Qui utilisera au mieux les réseaux ? les
pays d'origine ou les pays de destination ?
Dans ce ménage à trois - pays d'origine, migrant, pays d'accueil - les intérêts ne sont pas les mêmes pour tous. S'il est indispensable de respecter la liberté des individus, il est aussi important de voir dans quelles conditions cette liberté peut s'exercer réellement. C'est en cela que ce livre est intéressant en décrivant des structures pouvant être utiles pour les pays d'origine. Quand il est question de migration - de compétents comme d'exécutants - l'analyse ne devrait pas être faite seulement en fonction des pays dits d'accueil ou des forces du marché mais en tenant compte des personnes et des pays de départ.
Les enjeux des migrations
scientifiques internationales. De la quête du savoir à la circulation des
compétences. Gaillard Anne-Marie et Gaillard Jacques,
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