LES DISCRIMINATIONS
POLITIQUES
MIGRATIONS SOCIETE N°81-82 mai-août 2002
LES DISCRIMINATIONS
POLITIQUES
La lutte contre les discriminations est désormais dans le
langage politique. Hier, les querelles sémantiques tournaient autour
d'assimilation, intégration, insertion. Ces mots aujourd'hui sont moins
utilisés et apparaît de plus en plus discrimination, lutte contre les
discriminations. A quoi cela peut-il tenir ? Peut-être tout simplement
qu'il était question, hier, d'assimiler, d'intégrer, d'insérer, des
"immigrés" c'est-à-dire des gens qui étaient étrangers, perçus comme
étrangers et qui devaient faire l'effort de s'assimiler, s'intégrer ou
s'insérer. Aujourd'hui où les "immigrés", soyons clairs, les personnes
"d'origine maghrébine" ou "noire africaine" car c'est d'eux qu'il est
question, ont de plus en plus souvent la nationalité française, il
s'agit de lutter contre des discriminations qui touchent donc des
Français, donc des électeurs…
C'est
un fait acquis désormais, il y a des discriminations dans la société
française. Dans l'accès au logement, à l'embauche, aux boites de nuit…
et dans bien d'autres sphères de la société. Il faut donc lutter contre
ces discriminations. Des lois sont faites pour cela. Notamment une loi
importante sur la charge de la preuve. Il est donc certain que ceux qui
mènent des campagnes contre les discriminations, qui font les lois pour
lutter contre les discriminations, les ont éliminées depuis longtemps
de leurs organisations. Pourtant…
Pourtant
des choses évidentes sautent aux yeux : il n'y a aucun ministre
d'origine africaine, du nord ou du sud ; il y a un seul député noir et
aucun d'origine maghrébine. Il y en avait plus pendant la période
coloniale ! Il y en a plus dans les pays qui nous entourent notamment
en Allemagne où pourtant jusqu'à ces dernières années prévalait le
droit du sang, en Belgique ou au Royaume-Uni qui a un passé colonial
comparable…Sans oublier qu'un président étasunien de droite a nommé
secrétaire d'Etat, c'est-à-dire ministre des Affaires étrangères, un
ancien général noir !
Dans des articles antérieurs, il est apparu nettement que dans
les élections, en France comme à l'étranger d'ailleurs, il est plus
difficile d'être candidat et, pour les candidats, d'être élu si on est originaire d'Afrique noire ou du Nord. Bien
entendu, les partis politiques peuvent, comme le commerçant qui ne veut
pas embaucher un travailleur qui a la peau
trop sombre, que ce n'est pas de son fait mais que la clientèle ne
comprendrait pas… On peut donc penser qu'il n'en est pas de même dans
les instances dirigeantes des partis politiques. D'autant que si un
étranger ne peut se présenter aux élections, rien ne lui interdit
d'être membre d'un parti politique et même, depuis 1981, et la
modification de la loi sur les associations, d'en être dirigeant. Cela
veut dire que la porte est ouverte à la participation des Maghrébins et
des Noirs de France, ayant la nationalité ou non, à toutes les
structures internes des partis politiques
LES MAGHREBINS ET LES NOIRS DE FRANCE DANS LES INSTANCES POLITIQUES
Pour se faire une idée, il suffit de consulter les sites des
partis politiques sur internet qui contiennent des informations
intéressantes. Aucune information n'est affichée sur les sphères
dirigeantes de certains : DL, LCR, , LO, PRG. Mais
des données sont disponibles sur d'autres : le comité central du FN de 119 membres, les membres du BN et des coordinations
régionales du MPF, soit 34 membres, les président,
vice-présidents, porte-parole, secrétaire général, secrétaires
nationaux soit 39 membres pour le MDC, les 142 membres
du comité national du MNR, les commissions du Conseil
national avec 65 responsables pour le PC, les 185
membres du BN et les délégués nationaux du PS, les 51
membres du BN, secrétaires nationaux et délégués nationaux du RPF, les instances dirigeantes du RPR
comprenant la présidente, le secrétaire général, les conseillers, le
trésorier, les secrétaires généraux adjoints, les secrétaires
nationaux, les équipes thématiques soit 63 membres, celles de l'UDF avec le Conseil de la présidence, la présidence,
les secrétaires nationaux, les responsables thématiques, au total 100
personnes, les délégués régionaux au CNIR de Les Verts, 117
membres.
Tableau : les
cadres des partis politiques
Parti |
Cadres |
"maghrébins" |
"noirs
africains" |
% |
MNR |
142 |
0 |
0 |
0 |
RPF |
51 |
0 |
0 |
0 |
MPF |
34 |
0 |
0 |
0 |
FN |
119 |
1 |
0 |
0,84 |
LES VERTS |
117 |
1 |
0 |
0,85 |
UDF |
100 |
1 |
0 |
1 |
RPR |
63 |
1 |
0 |
1,59 |
PS |
185 |
4 |
0 |
2,16 |
MDC |
39 |
4 |
0 |
10,26 |
PC* |
65 |
5 |
2 |
10,77 |
TOTAL |
915 |
17 |
2 |
2,08 |
*Sur la liste
des élus au Conseil national publiée par le journal, l'Humanité, à la
suite du congrès de 2001, on trouve 7 personnes "d'origine maghrébine"
et 5 "noire africaine" sur 240.
Au total, 17
"Maghrébins", 2 "Noirs africains" sont membres de ces sphères
dirigeantes qui totalisent 915 personnes soit 2,08%. Ce pourcentage est
supérieur à celui des députés (0,17), des élus régionaux (0,24) mais
inférieur à celui des élus municipaux (3,5) et européens (5,7).
Le clivage
droite gauche se retrouve ici : en effet, pour une moyenne de 2,08%, la
droite extrême se situe à 0%, l'extrême
droite à 0,4, la droite à 1,2 et la gauche toutes tendances confondues
à 3,9. La surprise vient, essentiellement, du faible pourcentage trouvé
chez les Verts.
Les données
recueillies sur internet permettent d'aller un peu plus loin et de voir
quelles sont les responsabilités, au sein des partis qui sont
attribuées au personnes "d'origine maghrébine ou noire africaine" : au
RPR, c'est la "cohésion nationale" et "l'intégration"
; à l'UDF, "l'expression thématique intégration" ; au
MDC, une vice-présidence comme les autres (sans attribution) et 3
postes avec attribution, "commissions", "formation", "citoyenneté"
; au PS, un membre du BN comme les autres (sans attribution), 5
délégués nationaux qui s'occupent des "contrat ville", "intégration",
"vie quotidienne", "périscolaire" et "question harkis"
; au PC, "étudiants et citoyenneté", "femmes, actions,
solidarité internationale et relations avec les partis progressistes
des DOM-TOM et leurs communautés résidant en France", "migrations
et citoyenneté (délégation nationale), "réussir la
transformation progressiste de l'école", "prévention, délinquance, pour
une politique judiciaire et carcérale alternative", "pauvreté,
précarité".
Pour les partis politiques, les citoyens "d'origine maghrébine
ou noire africaine" semblent avoir une compétence particulière pour
"l'intégration" (4 attributions en comptant la "cohésion nationale"),
la citoyenneté (3)… mais peu pour les finances, l'économie ou les
affaires étrangères.
Dans la lutte contre les discriminations politiques, beaucoup
reste à faire. Il y a tout d'abord la lutte contre la première
discrimination politique, celle qui écarte les résidents étrangers des
élections et c'est la lutte pour la résidence comme critère
d'attribution de la citoyenneté à coté de la nationalité. Mais une fois
cette étape franchie, et ce n'est probablement pour demain, d'autres
discriminations n'en continueront pas moins à subsister dans la
société, dans la vie quotidienne mais aussi dans les sphères
politiques. On le voit bien en constatant que des nationaux "d'origine
maghrébine ou noire africaine" n'occupent pas la place qui leur revient
"statistiquement".
Un important travail reste à faire. Des partis sur eux mêmes
pour lutter contre les discriminations en leur propre sein quels qu'en
soient les motifs. Mais aussi de la part des militants d'origine
africaine qui doivent s'engager dans les partis politiques.