Citoyenneté et
ressortissants des
Etats tiers
dans
le
traité établissant une Constitution pour l’Europe
Dans le
débat
qui vient d’agiter les Français sur le projet de traité
constitutionnel
européen (PTCE), la place des résidents étrangers
dans ce texte a donné lieu à
peu de prises de position et encore moins quand il s’agit de la place
de ces
résidents dans la citoyenneté. Pourtant, c’est bien
à l’occasion d’un débat « constitutionnel »
que la
question de la « citoyenneté »
doit être abordée.
Le PTCE
affirme : « L'Union est fondée sur
les valeurs de
respect de la dignité humaine, de liberté, de
démocratie, d'égalité, de l'État
de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des
droits des
personnes appartenant à des minorités »
(I-2). Et le Préambule de la
partie II place « la personne au coeur de
son action en instituant la citoyenneté de l'Union
européenne… » qui a
déjà été « instaurée »
(Titre I-B) ou « instituée »
(Titre II-8) par le traité de Maastricht. D’ailleurs, le Projet ne fait
que reprendre le critère d’attribution de la citoyenneté
de ce traité : « Toute
personne ayant la nationalité d'un État membre
possède la citoyenneté de l'Union
européenne»
(I-10). Par ce critère,
15 millions de (non ?)
personnes qui vivent sur le territoire de l’Union européenne
sans avoir la
nationalité de l’un des Etats membres, sont exclues de la
citoyenneté de l’Union.
En maintenant ce lien, citoyenneté de l’Union-nationalité
de l’un des Etats
membres, ce sont les Etats, à travers leur législation
sur la nationalité, non
l’UE, qui confèrent la citoyenneté de l’Union.
Le
PTCE stipule : « Les
citoyens de l'UE jouissent des droits et sont soumis aux
devoirs prévus par
Ayant
les mêmes devoirs, les ressortissants des Etats tiers ont-ils les
mêmes droits ?
Les droits du citoyen de l’UE (I-10-2) ne sont pas tous de même
nature :
« Droit
de circuler et de séjourner librement sur le territoire des
États
membres ». Le
droit de circuler fait partie des Droits de l’homme (Art. 13
de
En
fait, ce droit « des
personnes » est réservé aux citoyens et le
PTCE n’est qu'une éventualité
pour les ressortissants des Etats tiers : «1.
Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner
librement sur le
territoire des États membres. 2. La liberté de
circulation et de séjour peut
être accordée, conformément à
« Droit
d'adresser des pétitions au Parlement européen, de
recourir au médiateur
européen,… de s'adresser aux institutions et aux organes
consultatifs de l'UE…».
Le
traité reconnaît aussi à toute «
personne physique… résidant… dans un Etat membre... le
droit d’accès aux
documents… » (II-102), «
à
une bonne administration » (II-101-4), « de
saisir le médiateur » (II-103) et le droit « de pétition devant le
Parlement » (II-104). Ces droits, repris des
traités antérieurs, sont « constitutionnalisés ».
Ce
sont des droits d’usager, d’administré et ils sont reconnus aux
personnes
qu’elles soient citoyennes ou non.
« Le
droit de bénéficier, sur le territoire d'un pays tiers…
de la protection des
autorités diplomatiques et consulaires de tout État
membre dans les mêmes
conditions que les ressortissants de cet État ». La protection
diplomatique est assurée aux « nationaux
lorsqu’ils ont été lésés par des actes
contraires au Droit international commis
par un Etat étranger et s’ils n’ont pas pu obtenir
réparation par les voies de
droit interne de cet Etat » (Lexique des termes
juridiques, Dalloz,
1999). Ici, citoyen veut dire « national ».
Les ressortissants des Etats tiers ne pourraient
bénéficier de ce droit qu’en
cas d’accord avec l’Etat dont ils ont la nationalité.
« Droit
de vote et d'éligibilité aux élections au
Parlement européen ainsi qu'aux
élections municipales dans l'État membre où ils
résident, dans les mêmes
conditions que les ressortissants de cet État ». Le mot citoyen
prend ici sa signification politique, « individu jouissant… des droits civils et
politiques » (Dalloz, 1999).
Mais si le PTCE affirme : « Toutes
les personnes sont égales en droit » (II-80),
ces droits reconnus aux
citoyens n’ont pas été étendus à toutes les
personnes, même si les
ressortissants des Etats tiers participent aux municipales dans
plusieurs pays
de l’Union.
Malgré
le principe d’égalité, maintes fois énoncé,
les citoyens de l’Union ne peuvent
pas participer aux autres élections (locales,
législatives, présidentielles).
Ils ne sont pas éligibles « dans les
mêmes conditions que les ressortissants » de
l’Etat dans lequel ils
résident. Le
traité (III-126) maintient
la possibilité de dérogations. Les
citoyens de l’Union ne seront toujours pas éligibles à
certaines fonctions.
Douze ans après le traité de Maastricht, ces
inégalités de traitement entre
citoyens de l’Union ne sont pas supprimées. Un citoyen de
l’Union peut
représenter
Avant le traité de Maastricht, des
Etats avaient
attribué le droit de vote pour les élections locales aux
ressortissants
étrangers quelle que soit leur nationalité. Depuis ce
traité, les citoyens de
l'Union ont ce droit « dans les
mêmes conditions » que les nationaux. Les
ressortissants des Etats
tiers ont conservé leur statut. Le traité de Maastricht a
créé une
discrimination politique entre les « bons »
étrangers et les autres qui, autre discrimination, sont exclus
des élections
européennes. Le Projet maintient
ces
discriminations politiques « européennes »
qui légitiment, d’une certaine façon, les autres
discriminations de droit ou de
fait dont ces personnes sont déjà victimes.
Par suite des Traités et des
législations
nationales, les personnes qui vivent sur le territoire de l’UE sont
réparties
en 3 ou 4 citoyennetés avec des droits différents suivant
leur nationalité et
le pays de résidence : nationaux qui ont le droit de
participer à toutes
les élections, citoyens de l’UE qui ont le droit de vote et
d’éligibilité aux
élections municipales et européennes, ressortissants des
Etats tiers qui ont ou
n’ont pas le droit de vote avec ou sans éligibilité aux
élections municipales
ou locales. Sans oublier
Les conditions d’obtention de la
nationalité sont très variables d’un Etat membre à
l’autre et donc les
possibilités d’accès à la citoyenneté de
l’Union, source d’inégalité pour des
personnes ayant la même nationalité mais séjournant
dans deux pays différents. Cela
peut conduire à des situations… étonnantes. Deux
frères turcs s’installent dans
deux Etats membres. Tout deux s’intègrent parfaitement dans leur
pays de
résidence. Le premier, en Belgique, obtient la
nationalité belge. Le second, en
Autriche, ne peut en faire autant, la législation étant
moins favorable à cette
démarche. Mais son entreprise prospère, il décide
de faire venir son frère. Ce
dernier, nouvellement arrivé, mais Belge donc citoyen de
l’Union, pourra
participer aux élections pour le Parlement européen dans
son nouveau pays de
résidence. Il pourra même participer aux municipales. S’il
avait été français,
il aurait même pu voter aux municipales en France et en
Autriche ! Il ne
parle pas l’allemand, ne connaît rien à la situation
politique en Autriche. Son
frère, exclu de cette citoyenneté, pourra lui servir de
guide.
Dans son article I-45, le Traité
affirme :
« Dans toutes ses activités, l'Union
respecte le principe de l'égalité de ses citoyens, qui
bénéficient d'une égale
attention de ses institutions, organes et organismes ».
Il faut
espérer que les personnes, non citoyennes,
bénéficient de cette attention comme
administrées. Dans le cas contraire, elles pourront utiliser les
droits qui
sont reconnus à toute personne de présenter une
pétition devant le Parlement
européen ou d’interpeller le médiateur.
Il a beaucoup été question,
sous le titre
de « Citoyenneté participative »
d‘un nouveau droit proposé par le PTCE : « des
citoyens de l’UE, au nombre d’un million au moins…, peuvent prendre
l’initiative d’inviter
Mais cette nouvelle possibilité n’est offerte qu’« aux
citoyens » et ignore les ressortissants des Etats
tiers. Pourtant soumis aux mêmes lois, ils peuvent estimer que
des dispositions
devraient être revues aux fins d’application de
Au Royaume Uni,
les
ressortissants du Commonwealth qui n’ont ni la nationalité
britannique, ni celle
de l’un des Etats membres, ont le droit de vote et
d’éligibilité à toutes les élections
et donc aux élections européennes. Ils peuvent
élire les députés au Parlement
européen, éventuellement être élus au
Parlement européen et censurer
Récemmen
Mais,
après demain, si
Cette conception ambiguë de la
citoyenneté,
tantôt ouverte, tantôt réservée aux seuls
nationaux d’un Etat membre, se
retrouve dans d’autres parties du PTCE. En
effet, « tout citoyen a le droit de
participer à la vie démocratique de l’Union » (I-46.3).
Mais « les institutions donnent,… aux
citoyens et aux associations la possibilité de faire
connaître leurs opinions… entretiennent
un dialogue ouvert… avec les associations représentatives et la
société civile…
Cette tension entre principe attribuant
les
mêmes droits à tous sans distinction de nationalité
et discrimination politique
qui attribue la citoyenneté aux seuls nationaux des Etats
membres réapparaît
dans la place attribuée par le Traité aux partis
politiques. Le Projet
reconnaît (II-72) à « toute
personnes… le droit… à la liberté d’association à
tous les niveaux, notamment
dans les domaines politique… ». Toute personne peut
donc participer à
un parti politique. Eventuellement le présider. Elle ne peut
voter. Et le
second alinéa de l’article II-72 semble en contradiction avec le
premier :
« les partis politiques au niveau de
l'Union contribuent à l'expression de la volonté
politique des citoyens de
l'Union ». Seulement des citoyens ?
Si « toute personne a le droit de
travailler », « les ressortissants des pays
tiers…. (n)’ont droit (qu’)à
des conditions équivalentes à celles dont
bénéficient les citoyens de
l’Union » (II-75) ?
En conclusion, l’attribution de la
citoyenneté aux seuls nationaux des Etats membres entraîne
des inégalités et
des incohérences en contradiction avec les principes
énoncés. L’Union devrait tirer
les conséquences du fait qu’elle est terre d’immigration. Le
Projet de traité
constitutionnel européen donne plus de force à certaines
dispositions
antérieures. Il est regrettable que l’occasion n’ait pas
été saisie pour
affirmer la volonté de l’Union d’intégrer des millions de
personnes qui vivent
sur son territoire. Conservant aux Etats le droit de dire qui est
national, l’Union
pourrait dire qui est citoyen de l’Union et qui ne l’est pas. Et
prendre comme
critère, à coté de la nationalité, la
résidence.
La nationalité a une dimension identitaire, la
citoyenneté par l’adhésion
volontaire aux principes de l’Union est le ciment qui unirait toutes
les
personnes vivant sur un même territoire en vue de construire un
destin commun.
L’Union harmonise les politiques nationales d’immigration, elle a mis
au point
une directive pour résidents de longue durée.
En cas de maintien de résidents en dehors de la
citoyenneté, nul ne pourra
s’étonner si certains se tournent vers d’autres valeurs plus
accueillantes que
celles de l’Union, généreusement proclamées, plus
discrètement appliquées.
Les
multiples degrés de citoyenneté, en fonction de la
nationalité et du lieu de
résidence, apparaissent comme des entorses au principe
général qui voudrait
bannir les discriminations notamment en fonction de la
nationalité. La diversité
est constitutive de l’Union. Il n’y a pas de nationalité
européenne. Pourquoi
l’adhésion à
« l’Européanité » passerait-elle
obligatoirement par la
naturalisation à l’une de ses composantes et non par
l’adhésion aux valeurs
qu’elle proclame ?
(1)
Parmi les 25 pays de l’UE, 6 ont
donné
le droit de vote et d’éligibilité aux élections
municipales ou locales :
Danemark, Finlande, Irlande, Lituanie, Pays-Bas, Slovénie. Trois
n’ont pas
donné le droit de vote et non
l’éligibillité : Belgique, Estonie, Luxembourg.
Quatre ont accordé ce droit seulement sous condition de
réciprocité :
Espagne, Malte, Portugal, Tchéquie.