PARTIR DE SES
PROPRES BASES
MIGRATIONS Société N°61
janvier-février 1999
L'étude des professions de foi lors
de diverses élections permet de constater que plus les candidats sont de
droite, plus ils parlent d'immigration avec, cependant, des exceptions (Lcr,
quelques écologistes de gauche). Cette façon de ne pas assumer les questions
qui se posent à la société française a deux conséquences : la parole dominante
depuis plus de 20 ans est celle de la droite et de l'extrême droite ; la
gauche, sous influence, honteuse, défensive, s'aligne finalement sur des
positions qui ne sont pas les siennes.
Le débat sur la loi
Chevènement, à l'Assemblée nationale, était, de ce point de vue, caricatural.
La droite et la gauche se sont invectivées en permanence, la gauche reprochant
à la droite de parler comme l'extrême droite et celle ci déclarant que la
gauche faisait le jeu de cette même extrême droite. En fait, l'extrême droite
avec un seul député, absent, a dominé les débats.
Malheureusement, ce n'est pas
qu'à l'Assemblée nationale. Certains demandent que, pour éviter les
débordements démagogiques, les questions touchant à l'immigration soient exclues
du débat électoral. D'autres affirment que certaines questions ne peuvent être
abordées de peur de faire le jeu de l'adversaire. Enfin certains se réfugient
derrière la loi pour poursuivre tel ou tel propos, telle ou telle affirmation.
Hier, le tribunal de l'Inquisition certifiait l'existence de Dieu. Aujourd'hui,
ce sont les tribunaux républicains qui disent ce qui a existé et ce qui n'a pas
existé, ce qu'on peut dire et ce qu'on ne peut pas dire. Il y a là une fuite
des intellectuels et des politiques. La démocratie est en danger quand sa
défense repose sur les tribunaux et non sur les démocrates.
Et la régression est terrible.
Quand, dans les années 70, le Fn a lancé le mot d'ordre "Halte à
l'immigration sauvage", la Lcr avait organisé une contre manifestation.
Aujourd'hui, l'arrêt de l'immigration est pratiquement accepté par tout le
monde. Il est interdit de débattre de la libre circulation et encore plus de la
libre installation des personnes. Alors que, sous prétexte de mondialisation,
il est tout aussi obligatoire d'accepter sans rechigner la libre circulation
des capitaux, des marchandises et que le quart des actions françaises
appartiennent à des étrangers !
Quand une question nouvelle se
pose, il ne sert à rien de la nier. Et, le plus souvent, les questions
nouvelles ne sont pas soulevées par les grandes organisations installées mais
par les organisations extrémistes de droite ou de gauche, par les petites
organisations qui naissent d'un mécontentement, d'une plainte non perçue. Il
est nécessaire de réagir, il ne faut pas citer et donc faire de la publicité à
l'adversaire. Il ne faut pas reprendre ses phrases, même anodines, qui montrent
qu'il domine la discussion. Il faut voir quelles solutions peuvent être
proposées en partant de ses propres valeurs. Stigmatiser les irresponsables,
envoyer la police, ne donne pas un logement, ni des papiers. Cela peut
étouffer, un moment, le problème qui, s'il est réel, resurgit peu après sous
une autre forme, peut-être plus dure. Quand des jeunes brûlent des voitures,
quand des personnes occupent des logements vides ou des églises, quand certains
font la grève de la faim, c'est regrettable, ce n'est peut-être pas légal,
c'est dangereux, cela trouble l'ordre public. Rétablir l'ordre public, ce n'est
pas envoyer la police, faire taire, nier la question posée. Rétablir l'ordre
public, en démocratie, c'est reprendre le dialogue et chercher ensemble des
solutions. Les deux choses sont aussi difficiles l'une que l'autre. Mais
refuser de voir la question posée, refuser d'en parler, se contenter de
réprimer, envenime la question, la rend purulente. Il est alors encore plus
difficile de la traiter.
D'où l'intérêt de la lutte des
sans-papiers. Personne ne les attendait, ils n'existaient pas ; ils étaient des
travailleurs clandestins, invisibles par essence. Et ils sont apparus, ils ont
obligé tout le monde à se situer par rapport non aux clandestins mais aux
"sans-papiers", à faire prendre conscience qu'ils avaient souvent été
fabriqués par la réglementation, que par leur présence, par leur travail, par
leurs parents, ils avaient des droits. Garce à eux, l'immigration zéro a battu
en retraite et même l'immigration clandestine zéro semble atteinte. L'une et
l'autres sont impossibles. La loi même prévoit la régularisation si l'intéressé
peut prouver "par tous moyens" sa présence en France depuis 10 ans
(15 auparavant). Ce qui veut dire que le ministre de l'Intérieur reconnaît
implicitement qu'on peut entrer en France de façon plus ou moins légale et s'y
maintenir, malgré l'efficacité de ses services pendant 10 ou 15 ans et
bénéficier, en récompense, d'un droit au séjour ! On le sait bien. De tout
temps, hier par dizaines de milliers, aujourd'hui par milliers le droit au
séjour s'obtient 8 fois sur 10 par régularisation et non comme la loi le
demande par introduction. Et c'est à partir des valeurs républicaines (Tous les
hommes naissent et demeurent égaux en droits...) qu'il faut envisager les
solutions, partager leur lutte. La lutte des sans-papiers a rendu le discours
anti-immigrés presque inaudible. La population est d'après les sondages
partagée, elle veut dans le même temps régulariser les sans-papiers et fermer
les frontières !!!
On pourrait dire la même chose des "double peine" qui
les ont précédés et qui continuent. Ils étaient oubliés de tout le monde. Des
délinquants ! A expulser ! Par leur lutte, ils ont réussi à faire comprendre
combien leur situation, tout délinquants qu'ils aient été, était en
contradiction avec les principes et partant de ces principes, ils ont
revendiqué le droit de rester y compris quand ils ont commis autre chose que
des peccadilles. Ils ont pris le nom de double-peine, ils l'ont imposé. Et tout
le monde doit maintenant se déterminer pour ou contre la double-peine et non
pour ou contre l'expulsion de délinquants !!
La question est du même ordre
s'agissant de la préférence nationale. Il ne faut pas en discuter. Mais s'y
attaquer. En la remettant en cause là où elle existe déjà comme dans la
fonction publique. Et sous un autre nom, à partir du principe d'égalité. Est-il
juste qu'un étranger ne puisse exercer dans la fonction publique ? Ainsi un
étranger peut être maître auxiliaire dans l'éducation nationale mais ne sera
jamais titularisé. Un autre ne peut balayer le métro comme employé de la Ratp
mais peut le faire comme employé d'une entreprise de nettoyage sous traitante !
C'est aussi la question des médecins à diplômes étrangers qui sont les soutiers
de l'hospitalisation publique ! "Les hommes naissent et demeurent libres
et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur
l'utilité commune". C'est l'article premier de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, partie intégrante de la Constitution. Mais peut-être
l'utilité commune est-elle dans le fait qu'ils font faire ainsi des économies
puisqu'ils sont plus mal payés, ne bénéficient pas de l'ancienneté... Où est
passé le principe à travail égal salaire égal ?
Le raisonnement peut s'étendre
au droit de vote. Avec Maastricht, désormais, les ressortissants de l'Union
européenne ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections européennes et
municipales quel que soit leur degré d'intégration. Les ressortissants des
Etats tiers non, même s'ils sont là depuis des lustres. Sont-ils inutiles ? Où
est passé le principe d'égalité ? Voici installé un système de castes. Les
citoyens français, les citoyens européens et les autres, citoyens
pétitionnaires d'une Europe en construction qui nie ses propres principes
démocratiques. La France et l'Europe ne doivent pas jouer avec la démocratie,
les sentiments égalitaires. Elles doivent les défendre.
La partie sera à moitié gagnée
quand ces idées seront débattues sur la place publique, quand elles seront
attaquées par la droite. C'est en ce sens que les sans-papiers ont déjà gagné
la moitié de la bataille.
Mais cette victoire est
redoutable. Elle réduirait à néant la victoire politicienne et posthume de
Mitterrand si elle aboutissait à la reconstruction de l'unité de la droite. Il
faut donc non seulement faire en sorte que la droite soit obligée de contester
ces valeurs mais que, dans le même temps, ces valeurs soient considérées par la
majorité de la société comme les valeurs de cette société. C'est donc un
travail permanent, une lutte de tous les jours qui ne repose sur aucun acquis
définitif. Il faut accepter et mieux encore susciter le débat sur toute
nouvelle question. Le terrorisme verbal ou judiciaire est toujours un signe de
faiblesse ou de paresse. S'il peut un moment limiter les dégâts, il prépare les
futures défaites.
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