LE RACISME INSTITUTIONNEL OU L'APARTHEID DISCRET
MIGRATIONS Société N°49 janvier-février 1997 :Le racisme institutionnel ou l'appartheid discret
Le racisme est la chose du monde la mieux partagée. Il existe ici,
depuis toujours. Et ailleurs aussi. Dans certaines circonstances, il
tend à se développer ou à devenir plus apparent. Il touche toutes les
classes sociales. Les courants politiques de gauche n'en sont pas
indemnes. Seules les manifestations les plus sanglantes ou les plus
voyantes sont généralement répertoriées.
Le racisme des "petits blancs" est souvent expliqué par les conditions
socio-économiques, ce qui suggère un racisme de voisinage que certains
sondages mettent en question (1995, La lutte contre le racisme et la
xénophobie. Exclusion et droits de l'Homme. Commission nationale
consultative des droits de l'homme, La documentation française, 1996)
et dont les classes plus favorisées seraient indemnes. Il touche
cependant les "plus grands". Inutile de fermer les yeux, le racisme
hante les cercles proches du pouvoir, par conviction ou par
opportunisme.
A coté d'une tradition de lutte contre le racisme, existe une pensée
raciste. Il suffit de relire le passé, de Louis IX à Vichy en passant
par les difficultés de la Révolution à supprimer l'esclavage. Depuis
1974, la politique d'immigration officielle est double, fermer les
frontières et (pour) intégrer. Mais les frontières ne sont jamais assez
fermées et cette obsession, (halte à l'immigration sauvage, la misère
du monde, immigration zéro, immigration clandestine zéro) conduit à la
suspicion généralisée et éventuellement à des situations explosives.
Cette persévérance diabolique semble sans fin malgré tous les dégâts
qu'elle entraîne. Le racisme le plus dangereux demeure cependant celui
qui s'infiltre dans lois et institutions et instaure un discret
apartheid.
FAITS DIVERS
De 1980 à 1995, 737 actions et 2433 menaces à caractère raciste ont
été relevées dont respectivement 569 et 1975 contre des Maghrébins,
entraînant au total 33 morts (29 maghrébins) et 354 blessés (270
maghrébins) (1995, La lutte contre le racisme et la xénophobie.
Exclusion et droits de l'Homme. Commission nationale consultative des
droits de l'homme, La documentation française, 1996).
Tout ceci n'est pas seulement le fait de militants d'extrême droite à
la fin d'une manifestation ou un soir de collage. Cela peut prendre la
forme d'une "distraction" comme ces "sept jeunes (qui) ont décidé de
se faire un Noir ou un Arabe pour rigoler" : un Malien de 35 ans
est jeté à l'eau dans le canal Saint Martin et se noie le 13 juillet
1994 (Libération 13/01/1995). Cela n'est pas très étonnant car deux
Français sur trois disent être tentés de céder à des réflexes
xénophobes ou racistes. Fort heureusement, "tentés de céder" seulement,
pour la majorité la montée de l'intolérance est un danger (1995, La
lutte contre le racisme et la xénophobie. Exclusion et droits de
l'Homme. Commission nationale consultative des droits de l'homme, La
documentation française, 1996).
Il est fréquent, pour tempérer ces constations, de citer la réussite et
la popularité de tel ou tel sportif noir ou "basané". Il ne faut pas se
faire trop d'illusions : "En tant que gardien noir, je suis plus exposé
que les autres. Et vu mon caractère, je le suis même davantage, car les
gens aiment bien le nègre qui ne dit rien. Il m'arrive d'avoir peur
quand je suis pris pour cible avec des boulons, des cailloux, des
barres de fer, des piles. Au stade vélodrome, on ne me fait plus de
cadeau. Dès le début de l'échauffement, je suis harcelé d'insultes et,
derrière les buts, cela devient très vite le bazar. On y trouverait une
voiture en pièces détachées" (Joseph Antoine Bell, Libération
14/12/1992). C'est ce que traduit de manière plus subtile Jean Marie Le
Pen quand il félicite, à l'occasion des J.O., "ces filles et ces
garçons, issus dans leur immense majorité de la France profonde" (Le
Monde 07/08/1996) et non les autres.
DANS LES INSTITUTIONS PRIVEES
La discrimination se fait aussi sentir dans de multiples
circonstances. Certaines discothèques du samedi soir ne sont
pas ouvertes également à tout le monde (Libération 13/07/1995). C'est
cependant au niveau du logement et de l'embauche que les
discriminations sont les plus fréquentes et les plus lourdes de
conséquences car elles sont des obstacles à l'intégration à la vie
sociale et économique. On connaît le code des agences d'intérim :
BBR (bleu, blanc, rouge). Le tribunal a même eu à se prononcer sur un
cas de discrimination de Nouvelles Frontières/Air Afrique : en
Août 1990, un Africain, né de parents français, se voit refuser dans
deux agences de Nouvelles Frontières un tarif charter sur Air
Afrique. Sur l'ordinateur : "Interdit aux Africains, quelle que soit
leur nationalité. Compte tenu de la politique d'Air Afrique, il est
strictement interdit d'inscrire des Sénégalais ou des Africains sur le
charter de Dakar, même s'ils ont la double nationalité et un passeport
français". "On n'a jamais cherché à étudier de façon sérieuse la
responsabilité d'Air Afrique et la politique des aviations civiles dans
cette affaire. Cette condamnation est injuste mais, si ça fait bouger
les choses, c'est positif" estime le Pdg de Nouvelles Frontières qui
précise que la discrimination continue (Libération 03/03/1996).
... ET PUBLIQUES
Certaines petites annonces sont claires, y compris
quelquefois celles d'organismes officiels. Ainsi celle-ci, qui provient
du Centre de Formation des Apprentis du Lycée Valentine Labbé, à la
Madeleine, dans la banlieue lilloise : "Recherche, très urgent,
pour contrat d'apprentissage, une candidate, fille de 18 ans maximum. Nationalité
: française, origine culturelle : française". "Grosse maladresse",
"erreur humaine", "initiative malheureuse", d'après les autorités
académiques de Lille (Libération 22/04/1994). On se souvient des propos
de Michel Bon, qui justifiait ce type d'annonces à l'Anpe
dont il était directeur général : "Malheureusement, il y a des gens
avec lesquels on a du mal à se sentir de plain-pied..., les étrangers,
et plus la couleur de la peau est foncée et plus on a du mal à se
sentir de plain-pied" (Le Monde 14/01/1995).
La discrimination peut être le fait de personnes chargées de faire
respecter la loi. Lors d'une visite de la centrale de Paluel par des
élèves de 14-15 ans, l'entrée en a été interdite à certains et ce n'est
qu'après négociations que tout est rentré dans l'ordre : "C'est la loi,
nous prenons contact avec la préfecture pour savoir s'il y a
problème, les enfants étaient bien nés en France, mais leurs
parents sont marocains ou algériens" (Libération 03-04/06/1995).
Bienvenue pour ces jeunes qui sont destinés à devenir français dans un
ou deux ans et bon cours d'éducation civique pour ceux qui le sont déjà
!
Et la police ! En dehors même des bavures. Ainsi, en 1994, dans
une lettre ouverte au président de la République, une mère canadienne
relate : "Mon fils a été fouillé, insulté et mis tout nu par la police
des frontières de votre pays. Cela, lui a-t-on fait comprendre, parce
qu'il s'appelait Malik et qu'il n'a pas la peau blanche comme
Dracula. Cela s'est produit le 18 août, lors de son arrivée à
l'aéroport de Mulhouse (Libération 22/11/1994). A Orly, les choses
peuvent même être organisées : "Vendredi 22/10/1993, 6 heures 30 du
matin, Portes 50 à 53 : les départs pour le Maghreb et l'Espagne.
Devant le portique aux rayons X, une queue. Rien que des hommes,
visiblement immigrés, Maghrébins. Je suis étonné de voir qu'en
passant sous la machine, ils lèvent tous les bras en l'air, comme sous
la menace d'une arme. Approchant à mon tour, je comprends. Un policier
crie à chaque passage : les bras en l'air. A chaque passage de Maghrébin
; pas pour moi, ni pour les autres Français dans la queue. Devant mon
air interloqué, le policier "explique" avec un rire gras :"Comme ça,
s'ils cachent un couteau sous les bras, il tombera" (Lettre de
lecteur, Le Monde 30/10/1993).
C'est encore cette suspicion systématique qui conduit un contrôleur de
la Sncf à retarder, en gare de Troyes, le départ d'un train Corail pour
"incident technique" et permettre "l'intervention d'une nuée de
policiers" qui font descendre un groupe de jeunes noirs pour les
contrôler sans autre motif que le soupçon du contrôleur. A l'arrivée à
Paris, minuit gare de l'Est, tous les passagers sont obligés de se
faufiler dans les rangées de Crs venus attendre les jeunes noirs : "Il
faut les impressionner au cas où..." (Le Monde 12-13/10/1996).
Comment qualifier le comportement, du GPS qui verbalise deux jeunes
copains dans le métro à Paris pour avoir mis les pieds sur les sièges
en vis-à-vis. Le premier, sans billet, 300 francs d'amende, le second
avec billet de 400 francs. Pour quelle raison cette différence parce
que le second est noir ? Le tout accompagné bien sûr des commentaires
habituels (Libération 14/06/1995)
Pour contrôler l'identité des étrangers, les policiers doivent
se fonder "sur des critères objectifs excluant toute discrimination
de quelque nature que ce soit" (Circulaire du 11/12/1995 relative
aux contrôles d'identité définis à l'article 78-2, quatrième alinéa, du
code de procédure pénale et contrôles de titre définis à l'article 67
quater du code des douanes). Un lecteur du Monde proposait que les
Français, et fiers de l'être, se fassent tatouer une cocarde sur le
front pour faciliter la tâche des policiers. A défaut d'une telle
mesure, la police française est conduite à ne contrôler que l'étranger
ayant un "comportement nettement étranger" quel que soit son
faciès. Tout le monde peut constater qu'elle ne contrôle plus que les
skieurs en kilt ou les personnes lisant le Monde de droite à gauche ou
de bas en haut dans le métro. Ou même ces étrangers qui ne traversent
pas dans les clous, ce qui a valu une amende de 30 francs à une
personne de Cherbourg qui, par hasard, était noire (Libération
24/10/1996). La même chose s'est produite à plusieurs reprises à Paris
dans le vingtième arrondissement. A 7 heures du matin, des policiers,
dans une voiture banalisée ont verbalisé des travailleurs immigrés
sortant de leur foyer et ne passant pas dans les clous (Ensemble dans
le XXème, n°9, juin 1996). Les 30 francs d'amende étaient-ils le but de
ce contrôle ? Combien de blonds aux yeux bleus ont-ils été verbalisés
pour une telle infraction ?
L'exemple vient de haut et Jean de Boishue, ancien secrétaire d'Etat,
(RPR) a été condamné, le mardi 05/12/1995, pour complicité de
diffamation raciale, à 10 000 francs d'amende et 30 000 francs de
dommages et intérêt à un chorégraphe mis en cause dans son livre,
"Banlieue, mon amour".
De plus haut encore, car lors de l'attentat de Marrakech, le
gouvernement marocain a imposé pendant un mois, du 26 août au 26
septembre, un visa aux "Français d'origine algérienne", sans réaction
apparente des autorités françaises (Le Monde 09/09/1994) qui
reconnaissait ainsi que la République n'est pas une ou au moins qu'il y
a des citoyens moins égaux que d'autres.
Le mépris ne cesse pas avec la vie ! Un Français d'origine algérienne
mort, peut-être accidentellement, a été jeté dans la fosse commune,
alors qu'il était parfaitement identifié par ses papiers d'identité
(Politis n° 164 12-18/12/1991).
LES MAIRES AUSSI
Le plus célèbre est Pierre Bernard, maire de Montfermeil,
qui s'est fait connaître en 1985 en refusant d'inscrire des enfants
étrangers dans les écoles primaires de la cité des Bosquets. En
1990, il décidait de couper les fournitures, la cantine et l'entretien
aux écoles recevant des enfants "nés hors de notre civilisation".
Suppléant de Eric Raoult, il est maintenant député !
Il n'est pas le seul maire à avoir des problèmes avec la justice.
Ainsi, André Combe, maire de Sury le Comtal, a été condamné
pour provocation à la haine raciale : "De Charles Martel à Charles
de Gaulle, les Français ont su balayer quand cela était nécessaire ; je
crois qu'ils sauraient le faire encore si on le leur demandait" (Le
Monde 26-27/09/1993). Joël Wilmotte, maire de Hautmont, a
organisé le 28/06/1992, un référendum sur l'immigration. En 1990 déjà,
dans une lettre aux amicales marocaines et algériennes, il écrivait :
"Je vous serais reconnaissant de bien vouloir intervenir auprès de vos
ressortissants afin d'éviter des rassemblements en centre-ville."
Il a refusé d'inscrire certains enfants à l'école "pour des raisons
d'hygiène" (Libération 17/06/1996).
Les maires de Saint Cloud (Hauts de Seine), de Courcouronnes
(Essonne) ont interdit les antennes paraboliques. Le maire de
Courcouronnes l'a fait pour des raisons d'esthétique et de sécurité.
Mais il déclare : "Ma démarche n'est pas dirigée contre un certain type
de population ou de réception. Mais l'intégration, ce n'est pas transformer
la France en une nation maghrébine. Les gens qui ont fait le choix
de vivre en France doivent tenir compte des difficultés et des
contraintes de ce pays" (Le Monde 25/08/1995). Pour des raisons
politiques, aucune des chaînes venant du Maghreb ou de Turquie n'a reçu
le conventionnement du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel pour la
distribution par câble. "C'est surtout à cause de la crainte de la
propagande islamiste que le ministère de l'Intérieur, sous
Charles Pasqua, s'était toujours refusé à ce que le CSA délivre
aux chaînes arabophones des autorisations d'émettre en France sur le
câble". Ces chaînes diffusent donc par satellite. En août 1995,
l'Association des nouveaux opérateurs-constructeurs de réseaux câbles
faisait remarquer que, sur le câble au moins, on peut "interrompre
immédiatement et à distance la réception en clair de ces chaînes auprès
des abonnés en cas d'émission ou de programme risquant de troubler
l'ordre public" (L'Express 17/08/1995, Migrations Société n°42
novembre-décembre 1995).
En région parisienne, des cartes d'identité française délivrées à des
enfants de parents étrangers, en particulier algériens, ont été
surchargées pour mentionner une durée limitée, ce qui est illégal
(Plein droit, n°25 Juillet-septembre 1994). Et les difficultés
deviennent chaque jour plus importantes pour obtenir une carte
d'identité ou même son renouvellement pour peu que la personne qui la
demande ait un nom "exotique", un teint basané ou soit née à
l'étranger. Au point que "renouveler sa carte d'identité, c'est parfois
le début d'un cauchemar". (Libération 22/10/1996).
CENT ANS DE LOIS PASQUA ?
La France commémore Clovis, d'origine "allemande", a eu un Premier
ministre d'origine turque, des Corses comme empereur ou ministre de
l'Intérieur, des ministres noirs... Un tel pays ne peut édicter des
lois racistes ou xénophobes.
Il serait pourtant naïf de croire qu'une loi comme le double droit du
sol qui date de 1851, "Est français, tout enfant né en France d'un
parent né en France", est due à la seule générosité. Elle visait à
mettre fin "à l'odieux privilège" de fils d'étrangers qui échappent
"aux charges qui pèsent sur les Français " alors qu'ils "prennent leur
part dans les affouages et dans les pâtis communaux". Le simple droit
du sol et la conscription universelle ont été institués en 1889, dans
l'optique d'un affrontement avec l'Allemagne. Dans les deux cas, c'est
en vue de soumettre les jeunes aux obligations militaires.
A la même époque, est imposée aux étrangers une déclaration de
résidence (02/10/1893), créé le registre d'immatriculation dans les
communes (09/08/1893), ce qui traduit une certaine méfiance vis à vis
des étrangers. La carte d'identité des étrangers est instituée le
02/04/1917 avec le fichier central des étrangers. Vient ensuite une
législation abondante dont l'article 4 des décrets de 1938 : "Tout
individu qui par aide directe ou indirecte aura facilité ou tenté de
faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un
étranger sera puni des mêmes peines (1 mois à 1 an)". Ce texte repris
dans l'ordonnance de 1945 (article 21), a fait encore parler de lui
plus récemment. Ce délit d'aide au séjour irrégulier, utilisé seulement
contre les filières organisées, pourra désormais l'être contre les
organisations caritatives ou de solidarité. Le Gouvernement en a, dans
sa grande générosité, exclu les membres des familles qui avaient été
récemment poursuivis et condamnés.
Cette lutte contre "l'immigration clandestine", met en cause des
principes fondamentaux touchant les étrangers et les Français.
L'obsession des "faux", réfugiés, mariages, étudiants, touristes... a
entraîné un certain nombre de conséquences qui n'ont, bien sûr, rien à
voir avec le racisme. Cependant, comment penser qu'un ressortissant
français puisse se rabaisser à épouser un étranger si ce n'est par
quelque intérêt, sordide en échange de la sécurité du séjour ?
En février 1981, la loi Peyrefitte légalise les contrôles d'identité
dans la prévention des délits, maintenant devenus pratiquement sans
restriction malgré la loi. Avec Schengen, il n'y a pas de frontières,
les contrôles sont étendus à de larges portions du territoire. Ces
contrôles constituent un encouragement au racisme, un élément
vexatoire, d'humiliation permanente. Elle incite la population ou des
fonctionnaires zélés à la délation. Comme ces contrôleurs de bus
qui ont détourné un bus avec tous ses passagers pour amener une
personne sans papier jusqu'à la gendarmerie ! (Libération 25/06/95) ou
ces maires qui suspectent les sans papiers de mariage blanc comme celui
de La Grarenne-Colombes qui dénonce au procureur un Marocain qui
voulait se marier (Libération 25/10/1996).
Et c'est pour lutter contre le racisme que Me Anne-Marie Couderc,
adjointe au maire de Paris pour l'urbanisme, a refusé de donner le nom
de Hélène Jakubovicz, résistante, communiste, déportée à 17 ans à
Auschwitz, à une rue trop passante, cet hommage aurait pu entraîner des
réactions antisémites ! (Politis 08/08/1996) Comme disait le poète,
"Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles, ils cherchaient un
effet de peur sur les passants"...
VOUS OUVREZ... NOUS FERMONS...
La Révolution avec la Déclaration et les Constitutions de 1791 et
de 1793 a largement ouvert, (femmes toujours exclues), la citoyenneté
aux étrangers. Mais, peu à peu, la porte s'est refermée avec les
constitutions qui ont suivi. Si la Constitution de 1958, reprenant les
termes de celle de 1946, fait sienne la Déclaration de 1789 et par là
l'égalité de "tous les hommes", elle s'empresse de préciser dans son
article 3 :"Sont électeurs... tous les nationaux majeurs des deux
sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques." La porte est
verrouillée.
Le traité de Maastricht crée une citoyenneté européenne, en
contradiction avec l'article 3 de la Constitution, ce qui a conduit à
sa modification par la représentation nationale. Ne pouvant
s'opposer, elle a fait de cette innovation une ouverture à cran
d'arrêt. Qu'on en juge : "Sous réserve de réciprocité et
selon les modalités prévues par le traité sur l'Union
européenne signé le 07/02/1992, le droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales peut être accordé aux seuls
citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent
exercer les fonctions de maire ou adjoint, ni participer à la
désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs". En
Irlande, Norvège, Suède, aux Pays Bas, ce sont tous les étrangers qui
ont le droit de vote aux élections municipales. Une législation
comparable à celle du Royaume Uni, donnerait en France la pleine
citoyenneté à tous les ressortissants des anciennes possessions
français : Maghreb, Afrique noire, Madagascar...
Le traité prévoit aussi que "toute personne physique... résidant...
dans un Etat membre, a le droit de présenter, à titre individuel ou en
association avec d'autres citoyens ou personnes, une pétition au
Parlement européen..." Ainsi dans l'Union européenne, les
citoyens sont séparés en castes en fonction de l'origine, non de la
durée de résidence ou du degré d'intégration : citoyens de plein
exercice, citoyens d'exercice municipal et européen, citoyens ayant le
droit de pétition.
NATURALISATIONS
L'Ocde a calculé en 1988 le taux de naturalisations en fonction de
la population étrangère dans les pays : 0,2% en Belgique, 0,7% au
Luxembourg, 0,8% en Allemagne, 1,1% en Suisse, 1,5% en France et aux
Pays Bas, 2,3% en Espagne, 2,7% en Norvège, 2,8% en Autriche, 4,3% en
Suède. Les choses ont peu changé en 1990, la Suède est toujours en tête
(3,7%), viennent ensuite la Norvège (3,4%), l'Autriche et le RU (2,9%)
et la France (2,5%). Ceci relativise certaines affirmations sur la
facilité de la naturalisation en France. La Norvège et la Suède ont
donné le droit de vote local à tous les résidents étrangers et ont le
plus fort taux de naturalisation.
Tableau : Acquisition de la nationalité française en 1993. Importance
des rejets des demandes de nationalité française par décret. (Tableau
réalisé à partir de 2 documents : "La politique de la nationalité en
1993" du Ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville et
"Les étrangers en France", Insee 1994)
Nationalité Recensés en 90 Acquisition % Décret Décret %
Acceptés Rejetés
Portugais 650 000 5 233 0,81 1 549 186 10,72
Algériens 614 000 7 909 1,29 5 571 1 745 23,85
Marocains 573 000 13 132 2,29 5 690 2 197 27,86
Italiens 253 000 937 0,37 312 43 12,11
Espagnols 216 000 1 385 0,64 337 52 13,37
Tunisiens 206 000 5 370 2,61 1 708 608 26,25
Turcs 198 000 1 515 0,77 953 682 41,71
Belges 56 000 244 0,44 81 20 19,80
Allemands 53 000 108 0,20 23 12 34,29
Yougoslaves 52 000 1 652 3,18 848 129 13,20
Royaume-Uni 50 000 190 0,38 37 21 36,21
Polonais 47 000 755 1,61 443 81 15,46
Cambodgien 47 000 1 847 3,93 1 477 406 21,56
Sénégalais 44 000 760 1,73 125 147 54,04
Maliens 38 000 244 0,64 46 43 48,31
Vietnamien 34 000 1 775 5,22 1 474 588 28,52
Laotiens 32 000 1 187 3,70 1 025 293 22,23
Tous 3 600 000 73 170 2,03 23 204 9 806 29,71
étrangers
En 1993, 2% des étrangers ont été naturalisés (Tableau). Ce sont les
Européens (Yougoslaves mis à part) qui demandent le moins la
nationalité française. Les demandes de naturalisation dépendent des
possibilités de retour, du niveau éducatif et économique, de
l'éloignement géographique du pays d'origine, de sa situation politique.
Le taux de rejets des naturalisations par décret varie de façon
importante d'une nationalité à l'autre. Ne considérant que les
nationalités qui comportent un nombre significatif de demandes, ce
taux semble être proportionnel à la couleur de la peau : plus de
29% en moyenne, mais, moins de 20% pour les Portugais, Yougoslaves,
Espagnols , Italiens, Polonais, entre 20 et 30% pour les Algériens,
Tunisiens, Marocains, Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens, 41% pour
les Turcs et 54% pour les Sénégalais. Faut-il voir dans ces données
l'aveu que ceux qui sont désirés ne demandent pas la nationalité
française et que ceux qui la demandent sont peu désirés ?
Ce n'est pas une préoccupation récente. Le 12/06/45, le général de
Gaulle adressait une directive au Garde des Sceaux : "Dès à
présent, il convient que les naturalisations soient effectuées d'après
les directives d'ensemble. Il conviendrait notamment... de subordonner
le choix des individus aux intérêts nationaux, dans les domaines
ethnique, démographique, professionnel et géographique. a) sur le
plan ethnique, il convient de limiter l'afflux des méditerranéens et
des orientaux qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié la
composition de la population française... Il est souhaitable que la
priorité soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges,
Luxembourgeois, Suisses, Hollandais, Danois, Anglais, Allemands, etc.)
(Cité par Plein Droit, n° 29-30 Novembre 1995). En 1940, l'Etat
français était allé plus loin en dénaturalisant 15 154 personnes,
plus de 6 000 juifs, dont beaucoup ont été déportés.
Les troupes "indigènes" ont largement été utilisées de Solférino aux
guerres coloniales : avec cynisme quand Georges Clémenceau
parle de cette "force noire à consommer avant l'hiver" (Eric
Fottorino Le Monde 09/02/1996). Avec gêne aussi : ainsi, la 1° armée
française de de Lattre avait 112 000 "indigènes" sur 214 000
hommes. Ces troupes africaines furent désengagées, officiellement, pour
leur éviter les conditions de l'hiver 1944-45 mais, surtout, pour
"blanchir" les forces - un slogan fort en vogue dans cette armée
"métropolitaine", dans la perspective de bientôt siéger à la table des
vainqueurs (Le Monde 15/08/1994).
LE GENE FAIT LA LOI.
Selon le code de la nationalité, tout enfant né en France d'un parent
lui-même né en France était français à la naissance, tout enfant né en
France de parents nés à l'étranger devenait français à sa majorité.
C'est ce code qui a permis de fabriquer de bons petits français à
partir de parents venus des 4 coins du monde. Mais en 1993, sous
prétexte de tirer un trait sur le passé colonial de la France dans ce
domaine, seulement dans ce domaine, des dispositions tenant compte de
l'origine des parents ont été introduites dans le code.
Pour comprendre, il faut relire l'exposé des motifs de l'avant-projet
de loi de 1986 : ce qui pose problème, c'est l'attribution de la
nationalité française à la naissance aux enfants qui naissent en France
de parents nés eux mêmes dans les anciens territoires français, donc en
France, avant 1960 ou 1962 (Algérie, Afrique noire, Madagascar).
"Plusieurs remèdes" ont été envisagés : suppression du double droit du
sol mais c'est la façon habituelle de faire la preuve de sa nationalité
pour les Français "de souche". Il n'existe pas de registre des
nationaux, en installer un coûterait cher et serait mal accepté. Ne
plus appliquer cette disposition aux personnes nées sur ces territoires
gênerait les rapatriés d'Algérie pour faire la preuve de leur
nationalité. Cette disposition a été adoptée pour les pays d'Afrique
noire où les Français de métropole ont été beaucoup moins nombreux à
faire souche. Les enfants nés en France de parents nés dans les anciens
territoires d'outre mer ne sont plus français à la naissance ! Comme
dans certaines dictatures, l'histoire récente a été réécrite en partie.
Les Parlementaires, ne pouvant mettre en question le double
droit du sol pour l'Algérie, ont décidé que l'enfant né en France de
parents nés en Algérie quand elle était française, ne serait français à
la naissance que si le parent résidant en France justifiait d'une
résidence régulière en France depuis 5 ans. Nouvelle suspicion avancée
au Parlement, jamais étayée par une seule donnée chiffrée, contre ces
femmes qui viendraient accoucher en France pour faire de petits
français ! Elle témoigne de la rancoeur des Parlementaires face à
l'Algérie.
A défaut de pouvoir mettre en cause le droit des jeunes d'origines
algérienne, l'avant projet proposait un acte volontaire pour le jeune,
né en France de parents nés à l'étranger (simple droit du sol) :
étaient visés les enfants nés en France de parents nés en Tunisie et au
Maroc. La Commission de la nationalité a repris cette
disposition. Dans sa diligence à satisfaire le gouvernement, elle a
même oublié d'auditionner les représentants de la communauté
portugaise, amplement touchée par cette proposition. Elle a du lui
consacrer une séance spéciale, de rattrapage !
Avec une certaine logique, l'Assemblée nationale avait prévu :
"l'enfant né à l'étranger d'un seul parent français, lui même né à
l'étranger, devra manifester la volonté de se faire reconnaître la
nationalité française à partir de l'age de 16 ans". Ce texte a été
refusé par le Sénat, il était "difficilement envisageable de
soumettre des jeunes Français nés à l'étranger, qui seraient par
hypothèse français de plein droit par filiation, à une formalité de
caractère obligatoire pour se voir reconnaître la nationalité
française". Ici, le sang du parent français prime le sang du parent
étranger et la socialisation ! Et un enfant, vivant à l'étranger, ne
parlant pas français, sera français sans faire acte de volonté, sans
s'en apercevoir !
Qui est français ? Le jeune né en France de parents étrangers, élevé,
scolarisé, socialisé en France ou celui né à l'étranger, d'un parent
français lui même né à l'étranger, élevé, scolarisé, socialisé à
l'étranger ? Le sang prime la socialisation.
LA LOGIQUE DU CHROMOSOME
Des jeunes nés en France, ayant joué dans le même bac à sable,
ayant fréquenté les mêmes écoles, subissant la crise de la même façon,
quelles que soient les bêtises qu'ils pourront commettre, ont la
nationalité française à la naissance si leurs parents sont français ou
algériens (le bon chromosome). Ils doivent la demander, entre 16 et 21
ans, et elle leur sera refusée si, nés de parents portugais, noirs
africains ou marocains... (le mauvais chromosome), ils ont le tort de
faire cette demande après 18 ans et ne sont pas jugés assimilés ou ont
subi certaines condamnations (dues au mauvais gène et non aux
conditions sociales). Qu'est-ce sinon du racisme ? Mais à la deuxième
génération, les mauvais gènes deviennent bon par mutation, le
chromosome donne, alors, des Français de souche !
Pour éviter le "risque" d'insertion de populations non souhaitées,
certains ont suggéré une politique préventive organisant une
immigration de peuplement et une autre de rotation : "Il paraît donc
souhaitable de donner de plus en plus au flux d'origine non
européenne, et principalement au courant maghrébin, un caractère
d'immigration temporaire de travail, organisé dans le cadre d'un
processus rapide lié, autant qu'il est possible, aux demandes de
secteurs d'activité intérieurs et en coopération avec les pays
d'origine" (Corentin Calvez, Conseil économique et social, J.O.
27/03/1969).
UNE AUTRE LOGIQUE
Face à cette logique, le principe de base, demeure
l'article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
de 1789, partie intégrante de la Constitution : Tous les hommes
naissent et demeurent égaux en droits. Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l'utilité commune. Tout homme où qu'il
soit, quel qu'il soit, est porteur de droits. Les Droits de l'Homme ne
sont rien sans les droits du Citoyen pour les défendre. Face à des
gouvernements trop sensibles à certaines sirènes.
C'est ce qu'affirme, discrètement, la Commission nationale consultative
des Droits de l'Homme : "... le langage officiel des Pouvoirs publics
n'a pas toujours la force et la clarté nécessaires. La Commission
nationale consultative des Droits de l'Homme a dû, à de trop nombreuses
reprises, rappeler aux gouvernements successifs l'impact négatif de
dispositions qui favorisent, à l'encontre des étrangers, un climat de
méfiance qu'il faudrait au contraire combattre".(1995, La lutte contre
le racisme et la xénophobie. Exclusion et droits de l'Homme. Commission
nationale consultative des droits de l'homme, La documentation
française, 1996)
DOUBLE PEINE
Le racisme institutionnel le plus flagrant est constitué, bien sûr,
par la double peine. Au delà des peines prononcées pour un même délit,
souvent plus sévères pour les étrangers que pour les Français, le juge
peut infliger une peine accessoire et supplémentaire qui est
l'interdiction temporaire ou définitive du territoire français.
Cette "double peine" est revenue en force avec le nouveau code pénal et la loi Pasqua d'août 1993. Des interdictions du territoire temporaires ou définitives (Art.131-30) peuvent être prononcées par des tribunaux et s'ajoutent aux peines ordinaires. Les "catégories protégées"(personnes ayant des attaches familiales en France) disparaissent sur "décision spécialement motivée". L'interdiction du territoire peut aussi faire office de peine principale sans autre sanction. Ceci concernerait plusieurs dizaines de milliers de personnes en France.
La Cour de Cassation n'hésitant pas à renouer avec une tradition de triste mémoire a même accepté qu'un étranger délinquant puisse être expulsé après avoir purgé sa peine, même sur la base d'une loi postérieure à sa condamnation. Tel est le principe qu'a consacré un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 01/02/1995. "L'expulsion d'un étranger n'a pas le caractère d'une sanction mais une mesure de police à objet préventif, exclusivement destinée à protéger l'ordre et la sécurité publics et peut donc se référer à des condamnations antérieures à la promulgation de la loi sur laquelle elle se fonde". Par suite de la loi Pasqua de 1993, des catégories jusque là protégées comme les parents étrangers d'enfants français et les conjoints de Français peuvent être expulsés s'ils ont été condamnés à des peines supérieures à 5 ans de prison et cela rétroactivement.
Plus récemment, le Conseil constitutionnel a validé la disposition de la loi qui prévoit de déchoir de leur nationalité française, dans certains délais, des personnes l'ayant acquise par naturalisation si elles se rendent coupables de crimes ou délits constituant des actes de terrorisme. Les députés socialistes voyaient dans cette disposition une source d'inégalité inadmissible entre les Français de souche et les Français d'adoption. Mais pour le Conseil constitutionnel, "la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme" justifie une différence entre Français d'origine et Français d'adoption. (Décision du Conseil constitutionnel n°96-377 DC du 16 juillet 1996, sur la Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire. JO du 23/07/1996).
Cet avis du Conseil constitutionnel a deux conséquences : entériner le principe de la double peine qui semble cependant contraire au principe d'égalité d'une part, d'autre part la notion de différence entre Français de souche et Français par acquisition. Le Gouvernement a certes pu faire remarquer que le "principe même de la déchéance de la nationalité française dans certaines hypothèses, notamment celle de condamnation pour crime ou délit contre la sûreté de l'Etat, existait déjà dans l'ancien code de la nationalité... Introduite dans notre droit, d'abord pour le temps de guerre par les lois du 07/04/1915 et du 18/06/1917, cette disposition a été rendue permanente par la loi du 10/08/1927. La rédaction actuelle remonte à l'ordonnance du 19/10/1945 portant code de la nationalité. Elle a été reprise par la loi n° 73-42 du 09/01/1973 qui s'est bornée à abroger la faculté de donner un effet collectif à la déchéance"(J.O 23/07/1996).
Il faut noter que la nationalité française pourra être retirée à tous ceux qui ne l'auront pas eue par attribution à la naissance. Cela veut dire que les jeunes devenus français entre 16 et 21 ans pourront être déchus de leur nationalité. Cela est en contradiction avec la volonté constante de tous les Etats de lutter contre l'apatridie car il est peu probable qu'ils puissent obtenir une autre nationalité. Il est aussi difficile de prévoir leur expulsion vers quel pays ? Ces déchéances possibles de la nationalité française ne constituent en aucun cas une façon d'envisager la réinsertion ou la réhabilitation de délinquants quels que soient leurs délits. Mais est-ce là la préoccupation du Gouvernement ?
Les décisions concernant la "double peine" ont aussi été acceptées
par les instances européennes : la Commission européenne des droits
de l'homme a débouté un Algérien arrivé en France à l'age de 2 ans
dans un rapport du 6 septembre 1995. Le 24 avril 1996, elle a pris une
position identique à propos d'un ressortissant tunisien dans son
recours contre le gouvernement français : né en Tunisie en 1960, arrivé
en France en 1968, il résidait dans ce pays jusqu'à son expulsion,
toute sa famille y est installée, ses parents et ses 10 frères et
soeurs dont 8 y sont nés. A nouveau, elle a rendu publics ses avis sur
deux requêtes relatives à la double peine pour deux ressortissants
marocains. L'un, arrivé en France à l'age de 5 ans, est sous le coup
d'un arrêté d'expulsion depuis avril 1991 ; l'autre, arrivé à l'age de
7 ans, réside au Maroc depuis le 26 août 1993, date de l'exécution de
son expulsion. Les deux hommes ont des antécédents criminels graves.
L'un vol avec port d'arme et violence, l'autre trafic d'héroïne. Leurs
parents, frères et soeurs résident tous en France. De plus le premier
cohabite avec une Française et le second est père d'un enfant né le 6
juillet 1993 de mère française (donc français). Pour les deux, la
Commission a adopté la même conclusion : il n'y a pas violation de
l'article 8 de la Convention (droit au respect de sa vie privée et
familiale). La Cour européenne a été saisie de ces deux
requêtes et il est fort peu probable qu'elle arrive à une décision
différente, compte tenu des arrêts de la Cour relatifs à des cas
similaires...(M.E octobre 1996n°62/1996-10)
Pourtant des juges ont pu faire justement remarquer : "L'Etat qui, pour
des raisons de convenance, accueille les travailleurs immigrés et
autorise leur résidence, devient responsable de l'éducation et de la
socialisation des enfants de ces immigrés tout comme il l'est des
enfants de ses "citoyens". En cas d'échec de cette socialisation dont
les comportements marginaux ou délictueux sont la conséquence, cet Etat
est aussi tenu d'assurer lui même leur réinsertion sociale au lieu de
les renvoyer dans leur pays d'origine qui n'a aucune responsabilité
pour ces comportements et où les possibilités de réhabilitation dans un
milieu social étranger s'avèrent illusoires" (Migrations Europe
novembre 1995). A défaut de reconnaître la responsabilité de la
société, on incrimine l'origine nationale ou ethnique. Si ce n'est pas
du racisme, cela lui ressemble beaucoup.
Ces multiples exemples permettent de constater une diffusion des
décisions et des pratiques discriminatoires de la part de
fonctionnaires, d'élus, d'institutions nationales et même européennes.
Il n'est pas rassurant de savoir qu'il ne s'agit pas là d'un phénomène
nouveau mais d'une constante, du moins au niveau national.
De plus, il ne faut pas confondre xénophobie et racisme. La xénophobie
concerne comme son nom l'indique les étrangers : elle ne peut que
s'éteindre avec leur intégration-assimilation ou celle de leurs
enfants. Et ainsi une immigration remplace l'autre dans le rejet, la
précédente pouvant, oubliant le passé, participer à ce rejet. Avec le
racisme, au rejet des derniers arrivés, s'ajoute un rejet à cause de
ses caractéristiques physiques qui vont perdurer. A cela, se mêle aussi
la nécessité pour l'islam de se faire une place dans la société
française. Le rejet religieux pourra s'atténuer avec un islam français
adapté peu à peu aux valeurs nationales qui elle-même évolueront, et
avec la conversion de Français de souche à l'islam. Les choses risquent
d'être plus complexe avec le racisme proprement dit. C'est évident avec
le rejet des enfants ou petits enfants des immigrés venus d'Afrique du
nord et cela commence pour ceux venant de l'Afrique noire. Ce rejet de
nationaux, basanés ou noirs, risque de les conduire à se revendiquer de
cette identité refusée, de les amener à se constituer en communautés,
non pas comme sas vers l'intégration, mais comme arme de résistance, de
combat, cherchant ailleurs des valeurs que la République, se reniant
elle-même, ne leur aura pas données.
Ceci montre bien l'importance du combat contre le racisme et pour
l'égalité.
QUELQUES POINTS NOIRS D'UNE LONGUE HISTOIRE
La rouelle consistait dans le port obligatoire pour les
juifs d'un insigne jaune, elle fut imposée par le IV° concile de
Latran de 1215 désireux de séparer radicalement les chrétiens des
juifs...
"Le cynisme d'un Aragon lui (Camus) répugne, comme d'ailleurs celui de de
Gaulle redoutant devant lui qu'une extension du vote en
Algérie n'amène cinquante bougnoules à la Chambre". (Le Monde
09/02/1996)
BAVURE ADMINISTRATIVE
Une carte d'identité portant la mention "musulman très pratiquant",
en face le la rubrique "signes particuliers" a été établie le 15 mars
1993 par la Sous-préfecture de la Tour du Pin (Isère)... Le préfet a
confirmé l'authenticité du document "initiative malheureuse d'un
fonctionnaire" en précisant qu'il s'agissait d'une "erreur sérieuse"
(Le Monde 13/11/1993, Libération 13-14/11/1993).
Le nouveau code pénal entré en vigueur le 01/03/1994 a redéfini les discriminations fondées sur l'appartenance raciale ou religieuse et aggravé leur répression. Constitue une discrimination "toute distinction opérée entre les personnes physiques (ou morales) à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs moeurs, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, à une nation, une race, ou une religion déterminée" (article 225-1). Dans son article 225-2, le code pénal punit de deux ans de prison et de 200 000 F d'amende la discrimination qui consiste "à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service", "à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque", "à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne", "à à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service" ou "une offre d'emploi" à l'une des conditions mentionnées plus haut (Le Monde 18/01/1995)
LA THEORIE...
"Avant tout contrôle des documents d'entrée et de séjour des
étrangers, il est donc indispensable de relever un signe extérieur
d'extranéité.
En tout état de cause, le contrôle ne doit se fonder que sur des
critères objectifs excluant toute discrimination de quelque nature que
ce soit. Ainsi la seule apparence physique ou la morphologie ne saurait
répondre aux exigences du Conseil constitutionnel. Circulaire du
11/12/1995 relative aux contrôles d'identité définis à l'article 78-2,
quatrième alinéa, du code de procédure pénale et contrôles de titre
définis à l'article 67 quater du code des douanes.
...ET LA PRATIQUE DE VIGIPIRATE
Le bilan officiel de Vigipirate a été dressé le 19/12/1995 par le
ministre de l'Intérieur à l'Assemblée nationale : aucune arrestation
liée aux attentats, 3 millions personnes contrôlées, 21 450 personnes
interpellées pour délits divers, 19 972 personnes frappées de non
admission aux frontières, 2 324 reconduites à la frontière.
UN MAIRE CITOYEN
Deux couples ont refusé qu'une conseillère municipale les marie, à
Roubaix. La conseillère s'appelle Zohra Zarouri, un nom "à consonance
étrangère" qui n'était pas du goût des deux couples. Me Zarouri n'a pas
souhaité que l'on refuse de les marier : "Ils sont plus à plaindre que
moi" a-t-elle indiqué. Le premier adjoint, désigné pour la remplacer, a
refusé d'accorder aux mariés la médaille de la ville, comme c'est
l'usage. Le maire CDS de Roubaix, René Vandierendonck a écrit
aux jeunes mariés : "Qu'il me soit permis en dépit de mon nom "à
consonance étrangère" de m'associer aux voeux de bonheur et de respect
des droits de l'homme que le premier adjoint vous a présentés samedi
dernier." Le Maire de Roubaix a avisé le procureur de la République
(Libération 25/10/1995).
RACISME PAR OMISSION ?
Edouard Balladur, ancien Premier ministre, arrivé en France en
1935, est né à Smyrne (aujourd'hui Izmir), en Turquie, en 1929, de
parents français par décret signé en 1926. Mais sa profession évitait
soigneusement d'entrer dans ces détails et se contentait de rappeler :
"L'histoire familiale d'Edouard Balladur ressemble à celle d'un grand
nombre de Français, ses origines témoignent de ce brassage qui fait la
diversité et la richesse de la France. Ses aïeux sont marseillais,
provençaux, corses, bourguignons, alsaciens et suisses".
BAVURE JUDICIAIRE ? "Le mari d'une Algérienne reconnu responsable d'aide au séjour irrégulier"(Libération 11/01/1996).
VERONIQUE : Le 01/02, Véronique Akobé, jeune Ivoirienne de 23 ans, employée de maison sans titre de séjour, a été condamnée à 20 ans de prison par la Cour d'Assises de Nice, dont deux tiers incompressibles. Alors qu'elle était séquestrée par ses patrons - le père et le fils -, ils l'ont, à plusieurs reprises, violée. Le 03/08/1987, blessée, au cours du troisième viol, elle a tué le fils et tenté de tuer le père. Elle est en prison en France, depuis 8 ans. Le 24/12/1995, Véronique a été graciée par le président de la République.
R