RESIDENTS ETRANGERS ET SCRUTINS LOCAUX
Le Conseil de l'Europe, dans une convention adoptée
le 25 novembre 1991, vient d'inviter les gouvernements membres à accorder
le droit de vote, aux élections locales, aux
étranger qui résident sur leur territoire. Après
une période de résidence de cinq ans dans le pays
d'accueil, les étrangers bénéficieraient du droit de
vote et d'éligibilité aux élections locales. Le texte
adopté prévoit, pour les gouvernements signataires de cette
convention, un délai d'adaptation pour surmonter des difficultés
constitutionnelles.
Paul ORIOL, médecin, auteur de "Immigrés,
métèques ou citoyens ?" (Paris : Ed. Syros 1985) aborde dans
l'entretien qu'il nous a accordé, les différentes
questions touchant le droit de vote des étrangers en France.
En décembre, paraîtra son second ouvrage sur ce problème :
"Les immigrés dans les urnes. Le droit de vote des résidents
étrangers", aux éditions CIEMI-L'Harmattan.. Comme il le fait remarquer; le débat sur cette
question n'a pas vraiment encore eu lieu, en France. La prise de position
du Conseil de l'Europe qui, en ce domaine, devance celle des Etats,
permettra-t-elle de le lancer sérieusement ?
P.T. : Périodiquement, la question du droit de vote pour les
étrangers en France, est évoquée. A l'émission "7
sur 7", puis dans un entretien publié par le journal Le
Monde du 12 juillet
P.O. : Quand on a une conviction, c'est toujours le moment de la
défendre ! Il fau être d'autant plus ferme et vigilant que les
positions se durcissent. Il y a lieu de rappeler que, dans ce pays, des forces
s'opposeront, de toute façon, à la dérive droitière
à laquelle nous assistons ces jours-ci. Partisans du droit de vote
pour les étrangers, nous n'avons peut être pas su créer un
rapport de forces favorables à cette positions.
A vrai dire, comme le président de
P.T. : Ce projet de loi manifeste donc la responsabilité des partis politiques
: ils n'ont pas saisi l'occasion de faire progresser l'idée de participation...
P.O. : ... notamment le Parti socialiste, avec lequel le président
Mitterrand a quelques relations ! Le PS est favorable depuis 1971, au droit de
vote des étrangers. En 1977, l'un de ses membres, Jean Le Garrec, a déposé une proposition de loi
sur l'élection des représentants des travailleurs immigrés
aux élections locales. En fait de 1977 à 1991, pas plus de cinq
ou six municipalités ont mis en place des conseillers municipaux
associés. Or il y a tout de même plus de cinq ou six maires
socialistes à avoir dans leur population, un nombre non
négligeable d'immigrés. N'auraient-ils pas pu faire une
démarche pédagogique vis-à-vis de la population française
en multipliant ce type d'élection ou de référendums locaux
? Cela aurait fait évoluer l'état des moeurs".
P.T. : Comment, personnellement, en êtes vous venu à prendre
position sur cette question ? Y a-t-il eu, pour vous, un
événement, un choc...
P.O. : Ni choc, ni événement ! La démocratie, c'est la
possibilité de faire participer le maximum de gens aux
décisions qui les concernent. Pour un autogestionnaire, cela paraît
la moindre des choses que les résidents sur le territoire - quelle que
soit leur nationalité - participent à la vie de la cité.
Le fait d'accorder le droit de vote aux étrangers constituerait un
progrès dans le sens de la démarche démocratique. Il
y aurait des effets importants au niveau de la participation aux
décisions, encore que le pouvoir des conseillers municipaux soit
très relatif. Mais ce serait aussi un pas important vers la
reconnaissance d'une légitimité.
Si l'ensemble de la population française reconnaissait le droit de
vote des étrangers aux élections municipales, ce serait pour
elles une façon de dire qu'elle prend acte de la présence
effective des résidents étrangers, qu'ils ont le droit de parler
et de vivre comme des citoyens. Finalement, ce vote a plus d'importance au
niveau symbolique qu'au niveau politique de l'exercice du pouvoir.
Au niveau du pouvoir, le vote aurait aussi de incidences. Les gens auraient parler à propos du logement, de l'école et
d'autres problèmes. Si, à Montfermeil, les parents dont les
enfants ont été refusés à l'école
maternelle avaient eu le droit de vote, le maire se serait peut-être
plutôt ingénié à mobiliser la population et
à trouver de l'argent pour changer les conditions de la
scolarisation dans sa commune.
P.T. : Qu'apporte l'expérience des pays d'Europe du Nord qui ont
admis ce droit dans leur législation ?
P.O. : On se réfère effectivement beaucoup à l'expérience
dans ces pays. Quand on examine ce qui se passe en Suède, qui est le
pays le plus avancé en ce domaine, on constate que le taux d'abstention
des étrangers aux élections va plutôt en augmentant. Les
gens sont déçus, en effet, parce que - c'est vrai - les
décisions les plus importantes ne se prennent pas au niveau
communal et les électeurs étrangers comme les autres finissent
par s'en rendre compte. Cependant, en même temps, au Parlement le nombre
d'élus d'origine étrangère, c'est à dire d'étrangers
qui ont acquis la nationalité suédoise, va en augmentant. Il y a
comme une légitimation des individus devenus suédois par
acquisition. A partir du moment où la loi légitime les
résidents étrangers, les nationaux d'origine étrangère
confortent leurs postions.
P.T. : Selon cette interprétation, le vote des résidents
étrangers préparerait une plus grande participation des nationaux
d'origine étrangère...
P.O. : Oui, quelque chose comme cela... A propos de la situation en France,
on peut ajouter une autre considération. Chose paradoxale, ceux qui
revendiquent maintenant le droit de vote, ce sont des jeunes Français d’origine
étrangère Ils ont ce droit de vote. Souvent, ils ne l'utilisent
pas. Cela veut-il dire qu'en l'utilisant, ils auraient, de quelque
façon, de trahir leurs parents qui ne l'ont pas ? Ces jeunes ont le droit
de vote sans avoir rien apporté à la société. Leurs
parents, au contraire, ont travaillé, payé des impôts, etc.
et ils n'ont toujours pas le droit de vote. De ce fait, ces jeunes qui sont
citoyens français ne se sentent pas tout à fait
légitimés ici. Si leurs parents avaient, eux aussi, le
droit e vote, cette légitimité n'apparaîtrait-elle pas pus
clairement ? De plus, la situation présenterait l'avantage de faire
passer un clivage citoyen/non citoyen ailleurs qu'à l'intérieur
de la famille...
P.T. : Dans l'Europe sans frontière, le clivage entre les nationaux des
pays de
P.O. : En effet, c'est toute la discussion née autour de la
proposition de directive faite par
Cette directive propose d'attribuer le droit de vote, après un certain
temps de séjour, aux ressortissants des pays membres de
Mais ces attendus conduisent à une proposition restrictive. On ne donne
en effet ce droit qu'à ne partie des gens et, qui plus est, aux gens qui
sont le mieux intégrés. Un ingénieur allemand ne souffre
pas beaucoup de sa situation en France, par rapport à un éboueur
malien ou à un manoeuvre algérien. Or, cet Allemand - ou tout
autre citoyen d'un pays de l'Europe des Douze - s'il réside depuis trois
ans (ou plus suivant le dispositif qui sera décidé) en France,
aura donc le droit de vote, tandis q'un Algérien qui sera là
depuis dix ou vingt ans ne l'aura pas. N'y a-t-il pas là une sorte
de discrimination ethnique ?
Autre chose, paradoxalement, un Français peut voter en Suède mais
un Suédois n'aura pas la possibilité de voter en France.
P.T. : Avec cette directive,
P.O. : Il n'est pas sûr qu'elle aille plus loin .Les attendus disent
seulement une chose, c'est que
De plus, à l'exception de
Quand on parle des instances européennes, il convient de distinguer
celles qui ont du pouvoir et celles qui n'en ont pas. A vrai dire, le Conseil
de l'Europe, le Parlement européen, le Conseil économique
européen n'ont pas de pouvoir. Ces organisations-là prennent en
général des positions plus larges que
Enfin, pour que cette directive passe dans les faits, elle devra être
adoptée à l'unanimité par le Conseil des ministres de
l'Europe. Ce n'est pas demain la veille !
En définitive, cette proposition contient un argumentaire
intéressant et utilisable. Quant à la pratique...
P.T. : La prise en considération, particulièrement au plan
européen, du droit de vote des étrangers aux élections
municipales montre qu'il s'agit d'un objectif politique valable. Mais si sa
mise en pratique est problématique et à lointaine
échéance, c'est qu'il y a des obstacles sérieux...
P.O. : Evidemment, il y a deux séries d'obstacles ou d'objections.
Les unes sont d'ordre politique, les autres d'ordre juridique.
Du point de vue politique, les débats tournent autour de l'opposition
entre nationalité et citoyenneté. Il est impensable,
affirme-t-on, qu'un non-national soit citoyen. En
plusieurs occasions, en France, des non-nationaux
sont devenus citoyens. C'était, il est vrai, en
1789, ou pendant
Mais pour tous l'obstacle fondamental, c'est
P.T. : C'est précisément ce que les Pays-Bas ont fait,
lorsqu'il s'est agi, pour eux, d'introduire le doit de vote des étrangers.
P.O. : Changer
P.T. : En France, la citoyenneté implique l'accomplissement du
service militaire ou d'un service civil équivalent. Ce lien entre citoyenneté
et les obligations militaires, n'est-il pas un obstacle supplémentaire
à l'extension du droit de vote aux étrangers ?
P.O. : On dit cela, habituellement, en effet. Mais l'histoire et la
sociologie montrent une situation plus nuancée. Ainsi, le suffrage
universel - réservé aux hommes -a été
institué en 1848 tandis que la conscription obligatoire ne l'a
été qu'en 1889, 40 ans plus tard. Après la guerre de 1870,
Si l'on veut parler de ce que l'on appelle "l'impôt du sang",
c'est autre chose. On pense habituellement à l'impôt du sang guerrier.
Jusqu'à maintenant
A propos des étrangers qui ont donné leur vie pour
P.T. : Compte tenu des obstacles évoqués, la cause du droit de
vote des étrangers est-elle désespérée ?
P.O. : Non, car jusqu'à présent, il n'y a pas eu de vrais
débats sur cette question. Malheureusement, on a toujours laissé
l'extrême droite occuper le terrain. On n'a pas mené la bataille
sur la notion de résident étranger, citoyen potentiel de la
société française. Ceux que l'on appelait de manière
restrictive les travailleurs étrangers sont apparus bientôt
comme des consommateurs, des parents, des résidents. Ils sont présents,
de plus en plus, dans tous les aspects de la vie sociale. Cette citoyenneté
de résidence serait comme un extension du "jus
soli" L'attribution du droit de vote serait lié non seulement
à la naissance mais aussi au séjour sur le territoire.
Celui qui est né sur el territoire n'y est pour rien, tandis que celui
qui y réside non seulement a fait un choix mais il apporte sa contribution,
il produit, travaille... jusqu'au moment où il y a des décisions
à prendre, moment qui lui échappe...
En se rattachant à 'universalisme de
P.T. : Dans toutes ces questions, on retrouve le poids de tout ce qui est
national ou, comme l'écrit Gérard Noiriel,
la "tyrannie du national". Pour identifier et reconnaître
les siens, l'Etat distingue, met des conditions et, par là même,
il inclut et il exclut. On trouve cela à l'intérieur d'un pays.
Nous allons le trouver aussi en Europe.
P.O. : Tous les pays, sauf
Il est vrai qu'il faut compter avec l'opinion publique, opposée au droit
de vote des étrangers. Pourtant quand on demande à des gens
s'ils y sont opposés dans leurs communes, on s'aperçoit que la
proportion des opposants est moins forte. Certes elle demeure. Mais
l'horizon n'est pas aussi bouché qu'on le pense. Il y a tout un
travail pédagogique à faire. C'est à ce travail que se consacre nombre d'associations. Par leur action quotidienne
(gestion d'un immeuble, rencontre de parents d'élèves...), elles
mettent en route des millions de cadres qui apprennent la participation
et qui acquièrent une certaine qualification. Pari les
associations, certaines ont un objectif plus précis concernant le
vote des étrangers. C'est le cas du collectif "J'y suis,
j'y reste" ,
qui regroupe 250 organisations et qui a pris l'initiative d'un certain nombre
de rencontres : table ronde de maires ayant l'expérience de la
participation des étrangers, réunion de parlementaires qui ont
déposé des propositions de loi.
Dans notre pays, nous aimons beaucoup commémorer mais il nous arrive
d'être à la traîne quand il s'agit de mettre en application , chez nous, les droits que, à juste
tire, nous célébrons comme une conquête. Le suffrage
universel a été étendu aux femmes, en 1945, mais nous
étions en retard. C'est chose faite en Hollande depuis 1907, et en
Turquie, depuis 1936 ! L'un des députés hollandais a dit un jour
; "Chez nous, les étrangers ont acquis le droit de vote et le
ciel ne nous est pas tombé sur la tête. C'est vrai que nous ne
sommes pas des Gaulois..."
Propos recueilli par Pierre Toulat
(1) Le vote a eu lieu le 29 novembre et la loi a été
adoptée à une faible majorité sans changement sur ce point
(2) Cf. en annexe le texte d'une lettre collective adressée, à ce
sujet, au président de
Anne
Dans le cadre de al "démocratisation de la vie locale",
l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture,
une loi organisant le référendum consultatif au niveau de
Alors que le Gouvernement et vous même, à de multiples reprises,
avez proclamé la nécessité d'une politique
d'intégration, au lendemain d'événements au cours desquels
tout le monde s'st plus à souligner la sagesse
des populations étrangère et a cru pouvoir y déceler une volonté
d'intégration à la société française, ce
texte de loi sera ressenti comme une réponse d'exclusion. Elle
n'est pas tolérable.
En 1981, vous proposiez "le droit de vote aux élections
municipales après 5 années de présence" sur le
territoire français". En 1988, dans la "Lettre à
tous les Français", vous vous contentiez d'affirmer : "
Rien, dans
Pour ces différentes raisons; nous intervenons auprès de
vous, Monsieur le Président, pour que, si l'institution de cette loi
vous paraît nécessaire, elle soit revue pour permettre à
tous les résidents de la commune de pouvoir participer. Il ne
s'agirait de rien de plus que le statu quo : ce serait cependant le signe que
le président de
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de nos sentiments
les plus respectueux.
Annexe 2 - Le droit de vote des étrangers en différents
pays
PAYS |
Nationalités |
Durée de résidence |
Type d’élection
|
Date |
AUSTRALIE Queensland Victoria |
Citoyens du CW Toutes Toutes |
|
Toutes Communales Communales |
|
BELGIQUE |
Britanniques, Irlandais |
3 ans |
Européennes |
1989 |
CANADA Prince Edward, Nelle Ecosse |
Citoyens du CW Toutes (Proproétaires, chefs d’entreprise) |
|
Toutes Communales |
|
CHILI |
Toutes |
5ans |
Toutes |
|
COTE D’IVOIRE |
Africains |
|
Toutes |
1980, 1985 |
DANEMARK |
Toutes |
3 ans |
Municipales |
1981 |
ESPAGNE |
Toutes
(réciprocité) |
|
Municpales |
1985 |
FINLANDE |
Scandinaves,
Islandais |
2 ans |
Municipales |
1981 |
IRLANDE |
Toutes Britanniques CEE |
6 mois |
Communales Toutes Européennes |
1963 1984 |
ISRAEL |
Toutes |
|
Locales/municipales |
|
ITALIE |
CEE |
Sans condition |
Eligibles aux
Européennes |
1988 |
NORVEGE |
Toutes |
3 ans |
Municipales,
provinciales |
1982 |
NOUVELLE
ZELANDE |
Toutes Citoyens du CW |
1 an |
Toutes Eligibles |
1975 |
PAYS-BAS |
Toutes |
5 ans |
Communales |
1985 |
PORTUGAL |
Lusophones
(réciprocité) |
5 ans |
Communales |
1971 |
ROYAUME UNI |
Citoyens du
CW/Irlandais |
|
Toutes
(éligibles) |
|
SUEDE |
Toutes |
3 ans |
Communales,
régionales, religieuses, référendum |
1975 |
SUISSE Neuchätel Jura |
Toutes |
10 ou 5 ans 10 ans |
Communales Comunales,
cantonales |
1849 1978 |
VENZUELA |
Toutes |
10 ans |
Locales |
|