"Une reconnaissance de leur
dignité"

NOUVELOBS.COM | 27.03.06 | 12:49

paul-oriol@wanadoo.fr
par Paul
Oriol,
président de l'Association
pour la citoyenneté européenne
de résidence,
membre fondateur
de la Lettre de la citoyenneté
et membre des Alternatifs.
Il anime par ailleurs
le site Immigration, citoyenneté, nationalité
(http://perso.wanadoo.fr/paul-oriol/)
Quelle est la valeur du référendum
organisé à Saint-Denis ?
- Au niveau juridique, elle est nulle.
Au niveau politique par contre, je pense qu'elle est très
importante. Jusqu'à présent ce type d'opération
avait toujours été organisée dans un cadre
militant, sur un marché, parfois dans une mairie, mais jamais de
manière structurée. Deux "votations citoyennes"
s'étaient ainsi déjà tenues. Pour la
première, en 2002, 36.000 personnes avaient participé
dans 70 villes de France. Pour la seconde, en 2005, 66.000 personnes
avaient voté dans 98 villes. Mais malgré l'importance de
la participation et l'aide matérielle parfois apportée
par les municipalités, ces opérations restaient
organisées par des militants.
Là, dans le cadre du référendum de Saint-Denis,
nous sommes presque dans un cadre réglementaire : il y a eu un
appel à la population officiel, des inscriptions sur les listes
électorales et les électeurs ont voté dans tous
les bureaux de vote.
Les résultats sont également très
intéressant de par l'importance du non.
D'habitude, les votes organisés par les associations se
transforment généralement en pétition, même
si nous insistons bien auprès des personnes sur le fait qu'ils
ont le droit d'exprimer un avis contraire, et le "oui" atteint
généralement les 90%. Là les résultats sont
réellement ceux d'un vote démocratique.
On peut espérer que le vote de Saint-Denis donnera tout d'abord
des idées à d'autres villes et contribuera à
accentuer le climat plutôt favorable au droit de vote des
étrangers.
Pourquoi le droit de vote des étrangers est-il un
sujet si sensible en France ?
- A mon avis, c'est parce que ce pays n'est ni démocratique ni
républicain. Il suffit d'observer le cas des droits des femmes.
Elles ont obtenu le droit de vote il y a 50 ans. Puis il a fallu voter
une loi sur la parité en politique en 2000. Et même avec
cela, aujourd'hui encore, elles ne représentent qu'environ 12%
des élus. Le fond du problème, c'est qu'il y a dans ce
pays un corporatisme politique qui empêche tout changement.
Dans l'Union européenne, 17 pays ont une législation plus
avancée que la notre. Parfois, cela ne va pas loin, mais tous
ont quand même ouvert quelque chose.
Par exemple, alors que le traité de Maastricht a
été adopté en 1992, il a fallu attendre les
dernières élections municipales pour que les
ressortissants européens puissent voter en France. Notre pays a
ainsi été le dernier à appliquer cette mesure.
Il y a chez nous un barrage permanent principalement dû au
Sénat. Pour permettre aux étrangers de voter aux
élections locales, il faudrait en effet réviser la
Constitution. Pour cela, la voie normale est tout d'abord un vote par
l'Assemblée nationale, puis un votre identique par le
Sénat et enfin une adoption du texte par une majorité des
3/5e du Parlement. Or, cette réforme a
été adoptée par les députés sous le
gouvernement Jospin. Mais, arrivé au niveau du Sénat, le
texte n'a jamais été mis à l'ordre du jour. Nous
avions à l'époque été reçus par le
président du Sénat qui nous a expliqué qu'il
suffisait que le ministre le mette à l'ordre du jour, ou de
trouver 30 sénateurs. Nous n'en avons trouvé que 27, et
parmi eux, aucun socialiste.
Jospin, lui, n'a même pas eu le temps de nous voir alors que
quelques jours plus tard, il recevait Brigitte Bardot! Ce qu'il aurait
fallu faire à ce moment, c'était mettre la droite face
à ses responsabilités.
L'UMP, l'UDF et l'ensemble de la gauche se sont dits
favorables au droit de vote des étrangers. Pensez vous que cette
fois cette réforme sera adoptée après 2007 ?
- Ca devient de plus en plus difficile de ne pas le faire. Dans les
sondages que nous effectuons, à la Lettre de la
Citoyenneté, les opinions favorables au droit de vote des
étrangers aux élections municipales et européennes
sont majoritaires depuis 1999. Aujourd'hui, les gens sont à
environ 55% pour le droit de vote des étrangers.
L'évolution de l'opinion publique est identique à gauche
comme à droite, où 49% des personnes s'y disent
favorable. Même à l'extrême droite, entre 25 et 30%
sont pour.
Par contre, lorsque l'on regarde les avis des maires, la proportion est
inversée, avec 55% d'opposition. Ce sont donc bien eux qui n'y
sont pas prêts. Il suffit d'ailleurs de voir la couleur de notre
Assemblée nationale.
On ne peut pas dire que les Français basanés ou noirs
soient très représentés! Même au niveau
local, combien y a-t-il d'élus européens dans nos
mairies? Au conseil de Paris, il n'y en a aucun. Il existe juste un
conseiller d'arrondissement italien qui a obtenu un siège
à la suite d'un décès. Le corporatisme politique
français fait que, si l'on n'est pas blanc aux yeux bleus et
énarque, on n'a quasiment aucune chance d'être élu.
Même parmi les cadres des partis, alors que là il n'y a
même pas d'élection, les étrangers sont
sous-représentés.
Concernant les élections européennes, un point est
intéressant à souligner. Le Conseil constitutionnel a
estimé dans un avis sur le traité de Maastricht qu'il n'y
avait pas besoin de réforme constitutionnelle pour permettre aux
étrangers non-européens de voter aux élections
européennes. Une majorité simple suffirait donc à
adopter cette mesure. Mais nos hommes politiques font preuve d'une
grande frilosité même devant des choses simples.
Nous avons bien conscience que le droit de vote ne résout rien
sur le fond. Les ouvriers ont le droit de vote depuis 1848 et les
femmes depuis 1945 et l'on constate que tous les problèmes n'ont
pas été réglés, loin de là. Le droit
de vote des étrangers ne réglerait par le problème
du racisme et des discriminations. Mais ce serait déjà
une reconnaissance de leur dignité.
Propos recueillis par Jérôme Hourdeaux
(le lundi 27 mars 2006)
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