Par la grâce d’un rapport du député Yves Jego au
ministre de l’Intérieur, le droit de vote des résidents
étrangers revient à la une des journaux. Pour le moment, il ne
faut pas se faire d’illusions. Il ne s’agit que d’un rapport,
et si la droite est enfin ralliée à une idée qui la faisait
hurler, naguère, il suffit à la conférence des présidents du
Sénat de mettre à l’ordre du jour une loi votée le 3 mai 2000
à l’Assemblée nationale et qui a été enterrée depuis dans un
tiroir de la présidence de la Haute Assemblée. Plusieurs
données peuvent toutefois expliquer cette apparente évolution.
Tout d’abord, la montée en puissance du nombre d’électeurs
dont les parents sont exclus du droit de vote, qui participent
davantage à la vie politique du pays et qui vont être de plus
en plus nombreux à voter. Les mobilisations d’après le premier
tour de la présidentielle ont bien montré qu’ils n’étaient pas
décidés à rester sur la touche. Les sondages indiquent que,
depuis 1996, les Français sont de plus en plus nombreux à se
déclarer favorables à cette réforme.
Mais les résultats de ces enquêtes, promues
chaque année depuis 1996 par la Lettre de la citoyenneté, ne
sont curieusement que partiellement entendus. Une même
question porte à chaque fois sur les élections municipales et
européennes, mais journaux et politiques n’entendent que "
municipales ". Pourtant, la logique, l’actualité voudraient
que les deux mots soient également considérés. Aujourd’hui, du
fait du traité de Maastricht, les habitants de l’Union
européenne sont en effet divisés en castes : les
nationaux vivant dans leur pays, qui ont le droit de vote et
d’éligibilité à toutes les élections ; les citoyens de
l’Union européenne, nationaux de l’un des pays de l’UE, vivant
dans un autre pays de l’UE dont ils n’ont pas la nationalité
(Allemands en France, Français en Italie, etc.), qui ont le
droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et
européennes ; les ressortissants des États tiers qui,
suivant le cas, ont (Danemark, Finlande, Irlande, Pays Bas,
Suède) ou n’ont pas (Allemagne, Autriche, Belgique, France,
Grèce, Italie, Luxembourg) le droit de vote à certaines
élections locales. Sans parler des hors castes : les
sans-papiers.
En contradiction avec le principe d’égalité, le
traité de Maastricht a donc réussi à saucissonner dans tous
les sens la citoyenneté, en attribuant une citoyenneté
partielle à une partie de la population ! Or, le plus
souvent, la citoyenneté ne se divise pas : quand les
femmes ou les jeunes ont obtenu le droit de vote, ils l’ont
obtenu pour toutes les élections. Quand certains pays ont
donné le droit de vote aux élections locales, ils l’ont donné
à tous les résidents étrangers, quelquefois après une étape
transitoire. Un premier progrès serait de donner les mêmes
droits à tous les résidents, quelle que soit leur nationalité.
Car, comment justifier qu’un Espagnol ou un Italien puisse
voter en France " dans les mêmes conditions que les nationaux
", c’est-à-dire dès leur installation dans une commune, alors
qu’un Chilien ou un Algérien, présent dans la même commune
depuis des années, est exclu de toute consultation ?
Le traité de Maastricht n’a cependant pas que
des défauts. Il a montré que bien des arguments avancés pour
s’opposer au droit de vote étaient des arguties : ainsi,
l’attribution de la citoyenneté de l’UE n’est soumise à aucune
condition de durée de séjour, d’intégration, de connaissance
de la langue. Ce qui est possible pour les uns devrait donc
être possible pour les autres : c’est le moment d’avancer
cette revendication d’égalité de traitement de tous les
étrangers quelle que soit leur nationalité. La Convention sur
l’avenir de l’Europe doit présenter dans les mois qui viennent
une proposition de constitution européenne. Elle devra donc se
pencher sur la définition du citoyen. Une campagne a été
lancée au niveau européen pour que la citoyenneté de l’UE soit
étendue aux ressortissants de pays tiers résidant légalement
dans l’Union. Cette notion de résidence est en effet centrale.
Elle est d’ores et déjà créatrice de droits : de la
naturalisation qui peut être demandée après cinq ans de
résidence légale, jusqu’à la régularisation des sans-papiers
après dix ans de séjour prouvés en passant par la plupart des
droits sociaux syndicaux, quoique persistent encore des
discriminations légales dont les emplois réservés. La
résidence donne aussi des droits politiques : liberté
d’expression, de manifestation. Le droit d’association sans
restriction est accordé à tous les résidents. Un étranger peut
ainsi adhérer à un parti politique, il peut faire partie du
bureau et même en devenir président. Pourtant il ne peut
toujours pas se présenter à une élection municipale s’il n’est
pas citoyen européen !
Il n’y a donc pas, contrairement à ce qui se dit
souvent, un trait d’égalité entre citoyenneté et nationalité.
Le démographe Hervé Le Bras a pu faire remarquer qu’en
fonction de la législation nationale française, il y a, selon
le dernier recensement, 3 250 000 étrangers en France. Si le
code de la nationalité des États-Unis était appliqué, il y en
aurait 600 000 de moins. Avec celui des pays d’Amérique
latine, ils ne seraient plus que 600 000. Il aurait pu ajouter
qu’avec le code suisse, ces étrangers seraient 6 ou 7
millions. Mais que dit la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, partie intégrante de notre Constitution ? "
Les hommes naissent et demeurent égaux en droits. " Elle dit "
les hommes ", pas " les Français ". Et si, pour une fois, on
respectait les principes au lieu de s’en servir comme un fond
de commerce ? · la question Qui suis-je ? il y a de
multiples réponses possibles, dont celle de la nationalité. La
citoyenneté répond à une autre question : comment
organiser notre vie commune, quelles que soient les réponses à
la question précédente ? N’est-il pas dans l’intérêt de
tous que tout le monde participe à la vie de la cité ? Il
y a assez d’exclus dans la vie quotidienne, faut-il y ajouter
des exclus par la loi ?
(*) Médecin, membre du comité d’orientation de
la revue Migrations-société. Dernier ouvrage paru : les
Immigrés devant les urnes, L’Harmattan.